« La presse représente une puissance considérable; mais, de même qu’un fleuve déchaîné submerge des campagnes entières et ravages les récoltes, de même une plume sans contrôle ne peut que tout détruire. Si le contrôle vient de l’extérieur, il est encore plus nocif que s’il n’y en avait pas. Pour être profitable, il doit être exercé par celui-là même qui écrit. Si cette ligne de conduite est correcte, combien de journaux au monde résisteraient à ce critère de sélection? » (Gandhi).
On pourrait penser
que le problème n’est pas chez ceux qui s’expriment, mais plutôt chez ceux qui
ne supportent pas que d’autres parlent. Mais penser ainsi signifierait que la
responsabilité morale n'est qu'unilatérale (ceux qui ne supportent pas que
d'autres parlent). Ceux qui s'expriment, ayant le droit de le faire, n'auraient
donc aucune responsabilité morale pour le contenu expressif ou le mode
d'expression employé. En tout respect, j'estime que c'est confondre le droit et
l'éthique. À ce sujet, citons Guy Rocher :
"Dans l'état d'incertitude et de doute dans lequel nous vivons, le droit est maintenant apparu comme un des substituts à la morale. C'est dans le droit que s'est réfugiée la morale. C'est le droit qui maintenant nous dit ce qui est bien et mal. Vous, éthiciens, êtes en train de vous faire dépasser par la droite - je dis bien par la droite ! - c'est-à-dire par les juristes. Où réglons-nous nos problèmes moraux ? Chez les législateurs à qui nous demandons une législation sur l'avortement, sur l'euthanasie. Qui allons-nous interroger pour obtenir réponse à nos grandes questions morales ? Les tribunaux. C'est là que collectivement et individuellement nous demandons la solution à nos dilemmes moraux. Le seul consensus moral qui maintenant peut nous réunir, c'est dans et par le droit qu'il s'effectue. Ce sont les juges et les législateurs, mal préparés pour jouer ce rôle d'ailleurs, qui agissent comme guides moraux. L’éthique est en train de déraper vers le droit. Ce qui fait la terrible force du droit, c'est qu'il est simple en comparaison de l'éthique".
Source : Guy Rocher, « Le
défi éthique dans un contexte social et culturel en mutation » (1994) 16 Revue
Philosopher 11.
Ce n'est pas parce
que nous avons le droit de s'exprimer et d'employer n'importe quel mode
d'expression (autre que la violence) que nous sommes exempts de toute
responsabilité morale pour le contenu expressif ou le mode d'expression
employé. Les philosophes Jocelyn Maclure et Charles Taylor affirment :
"Just because we have the right to do x does not mean that doing x is wise or desirable. Is it not to be hoped that when publishing texts or artistic subject matter we will first seek to understand how our speech act will be perceived by others and to anticipate its impact on the social bond? A certain degree of political stability and social cohesion can, of course, be achieved through the institutionalization of fair collective rules, but the effectiveness of these rules is only strengthened by what could be called an ethics of concern for the other".
Source : Jocelyn Maclure et
Charles Taylor, Secularism and freedom of conscience, Cambridge, Harvard
University Press, 2011 à la p.109.
Le professeur de
philosophie à l'Université de Montréal (désormais à McGill), M. Daniel Marc
Weinstock, affirmait également en 2006 :
"Je vais vous raconter une anecdote et je vais m’arrêter là-dessus. Au cours des dernières semaines, c’était au moment de la crise des caricatures, on m’appelle de Radio-Canada et on me dit : « On voudrait que vous fassiez partie d’un débat sur nos ondes à propos de “Est-ce que Charlie Hebdo avait raison ou non de reproduire les caricatures?”». Et moi j’avais répondu « oui et non ». Oui, il faut se battre pour avoir le droit de le faire, mais non, on doit parfois regretter que les gens utilisent les droits qui leur sont consentis".
Source : Daniel Marc
Weinstock, "Pour le multiculturalisme canadien, contre la laïcité
française : période de questions et de commentaires" dans Conseil du
statut de la femme, Diversité de foi, égalité de droits : Actes du colloque
tenu les 23 et 24 mars 2006, Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 2006
à la p.115, en ligne : http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs58930
Ma conception de la
liberté d'expression rejoint celle de Voltaire qui disait : "JE
DÉSAPPPROUVE CE QUE VOUS DITES, mais je défendrai jusqu'à ma mort votre droit
de le dire" (cité par la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Diffusion
Métromédia CMR inc. c. Bou Malhab, 2008 QCCA 1938). Bien que je défende le
droit d'employer la satire ou le sarcasme, j'estime que ces modes d'expression
(par ailleurs légaux) doivent, dans une société civilisée, libre et
démocratique qui repose sur le respect de la dignité humaine, être découragés.
C'est pourquoi je désapprouve leur utilisation.
Si je désapprouve
certains modes d'expression comme la satire, le sarcasme ou la violence,
j'estime, au contraire, qu'il ne devrait JAMAIS y avoir de limite à la critique
qui ne cherche pas à provoquer, mais à exprimer ses convictions profondes au
risque de tout ce qui peut arriver, c'est-à-dire une critique franche, honnête
qui vise à contribuer au débat d'idée et peut-être à faire changer les choses.
Dans sa préface de son livre intitulé "Animal Farm", George Orwell
affirmait :
"The issue involved here is quite a simple one: Is every opinion, however unpopular — however foolish, even — entitled to a hearing? Put it in that form and nearly any English intellectual will feel that he ought to say ‘Yes’. But give it a concrete shape, and ask, ‘How about an attack on Stalin? Is that entitled to a hearing?’, and the answer more often than not will be ‘No’, In that case the current orthodoxy happens to be challenged, and so the principle of free speech lapses. Now, when one demands liberty of speech and of the press, one is not demanding absolute liberty. There always must be, or at any rate there always will be, some degree of censorship, so long as organised societies endure. But freedom, as Rosa Luxembourg [sic] said, is ‘freedom for the other fellow’. The same principle is contained in the famous words of Voltaire: ‘I detest what you say; I will defend to the death your right to say it.’ If the intellectual liberty which without a doubt has been one of the distinguishing marks of western civilisation means anything at all, it means that everyone shall have the right to say and to print what he believes to be the truth, provided only that it does not harm the rest of the community in some quite unmistakable way. Both capitalist democracy and the western versions of Socialism have till recently taken that principle for granted. Our Government, as I have already pointed out, still makes some show of respecting it. The ordinary people in the street-partly, perhaps, because they are not sufficiently interested in ideas to be intolerant about them-still vaguely hold that ‘I suppose everyone’s got a right to their own opinion.’ It is only, or at any rate it is chiefly, the literary and scientific intelligentsia, the very people who ought to be the guardians of liberty, who are beginning to despise it, in theory as well as in practice".
Source : George
Orwell, "Orwell's Proposed Preface to ‘Animal Farm : the freedom of the
press, en ligne : http://orwell.ru/library/novels/Animal_Farm/english/efp_go
Le droit à la liberté
d'expression est un droit fondamental et un pilier de la démocratie. Néanmoins,
l'exercice de ce droit ne doit jamais nous faire oublier notre responsabilité
éthique pour les propos tenus et les conséquences qui en découlent. Dans un
texte de 2006 intitulé "The right to ridicule", le professeur de
droit Ronald Dworkin, qui défendait un droit illimité à la liberté
d’expression, affirmait néanmoins :
« The British and most of the American press have been right, on balance, not to republish the Danish cartoons that millions of furious Muslims protested against in violent and terrible destruction around the world. Reprinting would very likely have meant—and could still mean—more people killed and more property destroyed. It would have caused many British and American Muslims great pain because they would have been told by other Muslims that the publication was intended to show contempt for their religion, and though that perception would in most cases have been inaccurate and unjustified, the pain would nevertheless have been genuine. True, readers and viewers who have been following the story might well have wanted to judge the cartoons’ impact, humor, and offensiveness for themselves, and the press might therefore have felt some responsibility to provide that opportunity. But the public does not have a right to read or see whatever it wants no matter what the cost, and the cartoons are in any case widely available on the Internet. Sometimes the press’s self-censorship means the loss of significant information, argument, literature, or art, but not in this case. Not publishing may seem to give a victory to the fanatics and authorities who instigated the violent protests against them and therefore incite them to similar tactics in the future. But there is strong evidence that the wave of rioting and destruction—suddenly, four months after the cartoons were first published—was orchestrated by Muslim leaders in Denmark and in the Middle East for larger political reasons. If that analysis is correct, then keeping the issue boiling by fresh republications would actually serve the interests of those responsible and reward their strategies of encouraging violence » (nos soulignés et caractères gras).
Source : Ronald Dworkin,
"The right to ridicule", The New York Review of Books, March 23,
2006, en ligne : http://www.nybooks.com/articles/archives/2006/mar/23/the-right-to-ridicule/
Selon la Cour suprême
du Canada, lorsqu'une personne s'abstient de s'exprimer, elle exerce sa liberté
d’expression, car le silence est en soi une forme d'expression. En conséquence,
l'autocensure pour des raisons éthiques n'est donc pas une menace à la liberté
d'expression, mais au contraire participe de son exercice. Dans l’arrêt Slaight
communications inc. c. Davidson (1989), la Cour suprême du Canada affirmait
:
« On ne peut nier, en effet, que la liberté d'expression comporte nécessairement le droit de ne rien dire ou encore le droit de ne pas dire certaines choses. Le silence est en soi une forme d'expression qui peut, dans certaines circonstances, exprimer quelque chose plus clairement que des mots ne pourraient le faire ».
Source : Slaight
communications inc. c. Davidson, [1989] 1 RCS 1038.
Le droit à la liberté
d'expression s'accompagne d'une responsabilité légale qui justifie l'imposition
de limites. Ces restrictions légales à la liberté d'expression prennent racine
dans la philosophie libérale d'Emmanuel Kant et de John Stuart Mill.
Source : Onora
O'Neill, "A right to offend?" (February 13, 2006) The Guardian,
en ligne : http://www.theguardian.com/media/2006/feb/13/mondaymediasection7
L'article 11 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 mentionnait :
"Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".
L'article 10(2)
de la Convention européenne des droits de l'homme mentionne également :
"Article 10 – Liberté d'expression1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire".
Par exemple, dans l'affaire
Otto-Preminger-Institut c. Autriche la Cour européenne des droits de
l'homme affirmait en 1994 :
"49. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de "société démocratique" (voir notamment l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, par. 49).Toutefois, ainsi que le confirme le libellé lui-même du second paragraphe de l’article 10 (art. 10-2), quiconque exerce les droits et libertés consacrés au premier paragraphe de cet article (art. 10-1) assume "des devoirs et des responsabilités". Parmi eux - dans le contexte des opinions et croyances religieuses - peut légitimement être comprise une obligation d’éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain.Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans certaines sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse, pourvu toujours que toute "formalité", "condition", "restriction" ou "sanction" imposée soit proportionnée au but légitime poursuivi (voir l’arrêt Handyside mentionné ci-dessus, ibidem)".
Source : CEDH,
Otto-Preminger-Institut c. Autriche, 20 septembre 1994, n. 13470/87, en ligne :
http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{%22fulltext%22:[%22Otto-Preminger%20Institut%20c.%20Autriche%22],%22itemid%22:[%22001-62451%22]}
Finalement, en droit
canadien, l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés
mentionne :
"1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique".
Par exemple, le Code
criminel canadien interdit le libelle blasphématoire (art.296), le libelle
diffamatoire (art.298) et la propagande haineuse (art.319). Le juriste anglais
William Blackstone affirmait dans son ouvrage intitulé "Commentaries on
the laws of England":
"The liberty of the press is indeed essential to the nature of a free state; but this consists in laying no previous restraints upon publications, and not in freedom from censure for criminal matter when published. Every freeman has an undoubted right to lay what sentiments he pleases before the public; to forbid this is to destroy the freedom of the press, but if he publishes what is improper, mischievous, or illegal, he must take the consequence of his own temerity (...) Thus the will of individuals is still left free; the abuse only of that free will is the object of legal punishment".
Source : William
Blackstone, Commentaries on the laws of England, Book 4, Ch.11, no.13,
en ligne : http://oll.libertyfund.org/titles/blackstone-commentaries-on-the-laws-of-england-in-four-books-vol-2#lf1387-02_label_2446
Le droit à la liberté
d'expression (ou liberté de la presse) s'accompagne également d'une
responsabilité morale pour les conséquences prévisibles qui découlent des
propos tenus. Voltaire affirmait : "Il est de droit naturel de se servir
de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortunes".
Le juriste Jean-Baptiste Treilhard affirmait également en 1809 que la liberté
de la presse est "le droit d'imprimer ce qui ne nuit pas à autrui".
Et comme le
mentionnait en 1882 le juge Casault de la Cour supérieure dans la décision Belleau
v. Mercier, l'injure écrite est souvent plus dommageable que l'injure
verbale :
"La seule distinction entre l'injure verbale et l'injure écrite est que la dernière a plus d'intensité, montre plus de préméditation et plus de malice, qu'elle a plus de retentissement, et, pour cette raison, blesse plus grièvement, assure aux blessures de plus longues et plus durables traces".
En conséquence, le
journaliste devrait, comme le pensait le juge Ramsay, "être tenu à une
responsabilité plus grande, parce qu'il peut faire plus de mal". La
Fédération internationale des journalistes (IFJ) mentionne d'ailleurs sur son
site :
"Les principes universels ont été approuvés par des syndicats et des associations de journalistes venant de très différentes cultures et traditions. Le code d’éthique de l’IFJ inclut les valeurs fondamentales du journalisme – la vérité, l’indépendance et la nécessité de minimiser les dommages".
Source : Fédération
internationale des journalistes, Éthique, en ligne : http://www.ifj.org/fr/themes/ethique/
Par exemple,
les lignes directrices éditoriales de la BBC proclament les valeurs suivantes :
"We must therefore balance our presumption of freedom of expression with our responsibilities, for example to respect privacy, to be fair, to avoid unjustifiable offence and to provide appropriate protection for our audiences from harm".
Source : BBC, Editorial
guidelines : the BBC's editorial values, en ligne : http://www.bbc.co.uk/editorialguidelines/page/guidelines-editorial-values-introduction/
En éthique, nous
sommes responsables des conséquences prévisibles de nos actes (et non seulement
des conséquences voulues et désirées). En conséquence, les bonnes intentions
qui sous-tendent et motivent les propos sarcastiques ou les écrits satiriques
ne suffisent pas à les justifier. Des propos ou des écrits blessants ou humiliants
qui portent atteinte à la dignité humaine nuisent à autrui et ne peuvent donc
être justifiés éthiquement par une intention bienveillante. Pour reprendre les
propos de la Cour suprême du Canada, « le "chemin" du crime, tout
comme celui de l'enfer, peut être pavé de bonnes intentions ».
En conséquence, il
faut minimalement, en éthique, évaluer les conséquences prévisibles qui
découlent des propos tenus en considérant une personne raisonnable dotée d’une
« résilience ordinaire ».
Source : Mustapha c. Culligan
du Canada Ltée, [2008] 2 RCS 114 aux paras.14 et 16, j. McLachlin (pour la
Cour).
Mais idéalement, il faut, en éthique, prendre la victime des propos ou des écrits dans l'état où elle se trouve avec sa sensibilité propre. Je ferais une analogie avec la "thin skull rule" en common law (voir aussi l'article 226 du Code criminel) également applicable dans l'évaluation de la gravité du préjudice en responsabilité civile.
Source : Smithers c. R.,
[1978] 1 RCS 506. Par exemple, voir Arthur c. Gravel, 1991 CanLII 3107
(QC CA).
Cette règle
"signifie simplement que l'auteur du dommage assume les risques inhérents
à la qualité et à la personnalité de sa victime". Dans l'arrêt Arthur
c. Gravel (1991), le juge Jean-Louis Baudouin de la Cour d'appel du Québec
(dissident en l'espèce), qui devait se prononcer sur des injures prononcées par
M. André Arthur entraînant au sens de l'article 4 de la Charte des droits et
libertés de la personne une atteinte potentielle à la dignité, à l'honneur
et à la réputation de M. Raymond Gravel, affirmait :
"Par contre, la simple participation d'une personne à la vie publique ne donne pas le droit de l'abreuver d'injures, de l'atteindre dans sa vie privée lorsque les faits n'ont aucune relation avec l'accomplissement des devoirs de la charge. L'engagement en politique ne confère pas un permis de chasse à l'honneur et à la réputation d'une personnalité publique.Certes, là encore, une personnalité publique, et plus particulièrement une personnalité politique, doit se montrer plus tolérante. En s'engageant ainsi, elle doit en effet comprendre qu'elle pourra, de la part de ses adversaires, être l'objet de plaisanteries, de satires, de railleries ou de sarcasmes et doit accepter dans une certaine mesure ces "risques du métiers. Son degré de tolérance doit donc être plus élevé. Il convient toutefois que l'on doit quand même prendre la victime dans l'état où elle se trouve (ce que les juristes de common law appellent le "thin skull rule") avec sa sensibilité et sa personnalité propre et qu'être en politique n'exige pas nécessairement une complète insensibilité. Tout est donc ici finalement question de fait, de milieu et de contexte".
Source : Arthur c. Gravel,
1991 CanLII 3107 (QC CA).
Selon la philosophe
Onora O'Neill les distinctions faites entre le droit d'offenser et de provoquer
et l'interdit de diffamer, d'insulter et d'intimider sont loin d'être claires.
Des caricatures peuvent être offensantes ou provocantes pour certains et
carrément insultantes ou diffamatoires pour d'autres :
"It is standardly said that free speech must include a right to say things that are offensive or provocative, but not rights to defame, insult, let alone intimidate. These supposed distinctions are inevitably unclear because interpretations of speech acts vary with audiences. Danes might read the cartoons as no more than mildly provocative and offensive; many Muslims have read them as insulting and defamatory (...) if we think of free speech as exercised in communicating with audiences, and remember that audiences vary greatly in the way they will read what is said and written, we may find reason to be more circumspect".
Source : Onora O'Neill,
"A right to offend?" (February 13, 2006) The Guardian, en
ligne : http://www.theguardian.com/media/2006/feb/13/mondaymediasection7
Il n’est donc pas
étonnant que le philosophe libéral John Stuart Mill fût favorable à l’idée
d’interdire l'invective (injure, insulte) et le sarcasme dans les discussions
pourvu qu’elles soient interdites pour tous, c’est-à-dire autant pour ceux qui
défendent des idées à contre-courant et minoritaires (qui s’opposent au pouvoir
en place) que pour ceux qui défendent les idées reçues, dominantes et
majoritaires (qui défendent le pouvoir en place). Il était également d’avis que
l'invective (injure, insulte) et le sarcasme devaient autant que possible ne
pas être employés contre les personnes faibles et vulnérables. Il affirmait:
« With regard to what is commonly meant by intemperate discussion, namely, invective, sarcasm, personality, and the like, the denunciation of these weapons would deserve more sympathy if it were ever proposed to interdict them equally to both sides; but it is only desired to restrain the employment of them against the prevailing opinion: against the unprevailing they may not only be used without general disapproval, but will be likely to obtain for him who uses them the praise of honest zeal and righteous indignation. Yet whatever mischief arises from their use, is greatest when they are employed against the comparatively defenseless; and what ever unfair advantage can be derived by any opinion from this mode of asserting it, accrues almost exclusively to received opinions ».
Source : John Stuart Mill, On
liberty, p.31.
En 2006, le
secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, reconnaissait l'importance de
faire preuve de sensibilité éthique et d'empathie (donc d'éviter de blesser
gratuitement) lorsque l'on traite de sujets sensibles et de grandes importances
pour une fraction de la population :
“We are deeply alarmed at the repercussions of the publication in Denmark several months ago of insulting caricatures of the Prophet Mohammed and their subsequent republication by some other European newspapers and at the violent acts that have occurred in reaction to them.The anguish in the Muslim World at the publication of these offensive caricatures is shared by all individuals and communities who recognize the sensitivity of deeply held religious belief. In all societies there is a need to show sensitivity and responsibility in treating issues of special significance for the adherents of any particular faith, even by those who do not share the belief in question.We fully uphold the right of free speech. But we understand the deep hurt and widespread indignation felt in the Muslim World. We believe freedom of the press entails responsibility and discretion, and should respect the beliefs and tenets of all religions.But we also believe the recent violent acts surpass the limits of peaceful protest. In particular, we strongly condemn the deplorable attacks on diplomatic missions that have occurred in Damascus, Beirut and elsewhere. Aggression against life and property can only damage the image of a peaceful Islam. We call on the authorities of all countries to protect all diplomatic premises and foreign citizens against unlawful attack.These events make the need for renewed dialogue, among and between communities of different faiths and authorities of different countries, all the more urgent. We call on them to appeal for restraint and calm, in the spirit of friendship and mutual respect.”
Source : Kofi A. Annan,
Ekmeleddin Ihsanoglu and Javier Solana, "Joint UN, European Union,
Islamist conference statement shares anguish of muslim world at Mohammed
caricatures, but condemn violent responses" (February 7, 2006), en ligne: http://www.un.org/press/en/2006/sg2105.doc.htm
En 2008, le Comité
des droits de l'homme des Nations Unies reconnaissait l'importance de faire
preuve de sensibilité éthique et d'empathie (donc d'éviter de blesser
gratuitement) lorsque l'on traite de sujets sensibles et de grandes importances
pour une fraction de la population :
"Noting also the final communiqué adopted by the Organization of the Islamic Conference at its eleventh summit, in Dakar, in March 2008, in which the Organization expressed concern at the systematically negative stereotyping of Muslims and Islam and other divine religions, and denounced the overall rise in intolerance and discrimination against Muslim minorities, which constitute an affront to human dignity and run counter to the international human rights instruments,Recalling the joint statement of the Organization of the Islamic Conference, the European Union and the Secretary-General of 7 February 2006, in which they recognized the need, in all societies, to show sensitivity and responsibility in treating issues of special significance for the adherents of any particular faith, even by those who do not share the belief in question (...)Expresses its grave concern at the recent serious instances of deliberate stereotyping of religions, their adherents and sacred persons in the media and by political parties and groups in some societies, and at the associated provocation and political exploitation".
Source : United Nations,
Human Rights Council, Combating defamation of religions, Resolution
7/19, March 27, 2008, en ligne : http://ap.ohchr.org/documents/E/HRC/resolutions/A_HRC_RES_7_19.pdf
La sensibilité est l'une des deux dimensions de l'éthique. Hans Jonas affirme :
« L'éthique a une face objective et une face subjective, dont l'une a affaire à la raison et l'autre au sentiment. Historiquement c'est tantôt l'une, tantôt l'autre qui se trouvait davantage au centre de la théorie éthique [...] Mais les deux faces sont mutuellement complémentaires et l'une et l'autre sont des parties intégrantes de l'éthique comme telle. Si nous n'étions pas [...] réceptifs à l'appel de l'obligation grâce à un sentiment qui lui répond, même la preuve la plus contraignante de son droit [...] serait pourtant impuissante à transformer en force motivante ce qui est prouvé ».
Jean-Jacques Rousseau souligne l’importance de la sensibilité dans les jugements éthiques:
"Mandeville a bien senti qu’avec toute leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la Nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison : mais il n’a pas vu que de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales qu’il veut disputer aux hommes » [...] « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel [...] C’est elle, qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de moeurs, et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix [...] Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate, et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent".
Thomas Jefferson affirmait également que la nature (« she ») a placé la morale dans le coeur des hommes et non dans la raison :
« Morals were too essential to the happiness of man to be risked on the incertain combinations of the Head. She laid their foundation therefore in sentiment, not in science ».Source :Thomas Jefferson, « Dialogue between my head and my heart », Thomas Jefferson's Letter to Maria Cosway, Paris, 12 octobre 1786.
Dans le document intitulé "External Review into Sexual Misconduct and Sexual Harassment in the Canadian Armed Forces" (2015), l'ancienne juge de la Cour suprême du Canada, Marie Deschamps, démontre l'importance de préserver sa sensibilité. Dans son rapport portant sur le harcèlement sexuel et les inconduites sexuelles dans l'armée canadienne, elle souligne que des commentaires sexistes poussent les femmes à développer des mécanismes de protection : comme la désensibilisation et la nécessité de développer une peau épaisse ("thick skin"). Elle affirme :
"Amongst the NCMs, the use of language that belittles women is commonplace. Interviewees reported regularly being told of orders to “stop being pussies” and to “leave your purses at home”.Swear words and highly degrading expressions that reference women’s bodies are endemic. The use of the word “cunt”, for example, is commonplace, and rape jokes are tolerated. In response, women feel pressure to accept the sexualized environment or risk social exclusion. Many develop informal coping mechanisms to protect themselves from persistent unwanted comments. Ultimately, many women report having to develop a thick skin and to becoming desensitized to a culture of sexually inappropriate conduct".Source : Marie Deschamps (External Review Authority), External Review into Sexual Misconduct and Sexual Harassment in the Canadian Armed Forces, March 27 2015 aux pp.15-16, en ligne : http://www.forces.gc.ca/assets/FORCES_Internet/docs/en/caf-community-support-services-harassment/era-final-report-%28april-20-2015%29-eng.pdf
M. David North, secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste des États-Unis et président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site est d'avis que Charlie Hebdo ne fait pas partie de la tradition des grands satiristes de l'époque des Lumières :
"Dans une rubrique publiée mercredi dans le Financial Times, l’historien libéral Simon Schama situe Charlie Hebdo dans la tradition glorieuse de l’irrévérence journalistique qui «est l’élément de vie de la liberté». Il rappelle les grands pamphlétaires européens qui ont vécu entre le 16e et 19e siècle et qui soumettaient les grands de ce monde à leur rigoureux mépris. Parmi leurs illustres cibles, Schama nous rappelle qu’il y avait le duc d’Albe qui a noyé dans le sang la lutte pour la liberté; le «roi soleil» Louis XIV; le premier ministre britannique William Pitt et le prince de Galles. «La satire, écrit Schama, est devenue l’oxygène de la politique, en provoquant de saines exclamations de dérision dans les salons de thé et les auberges où les circulaient tous les jours et toutes les semaines des caricatures.»Schama situe Charlie Hebdo dans une tradition où il n’a pas lieu d’être. Tous les grands satiristes auxquels Schama fait référence étaient des représentants du siècle démocratique des Lumières et qui faisaient des puissants partisans corrompus des privilèges aristocratiques les cibles de leur mépris. Dans sa représentation implacablement dégradante des musulmans, Charlie Hebdo se moque des pauvres et des faibles.Parler clairement et honnêtement du caractère sordide, cynique et dégradant de Charlie Hebdo ne signifie pas approuver le meurtre de son personnel. Mais lorsque le slogan «Je suis Charlie» est adopté et fortement promu par les médias comme étant le slogan des manifestations de protestation, ceux qui n’ont pas été dépassés par la propagande de l’Etat et des médias sont obligés de riposter: «Nous sommes contre l’attaque perpétrée contre l’hebdomadaire, mais nous ne sommes pas – et nous n’avons rien en commun – avec “Charlie”».
Source : David North, Le
discours hypocrite de la "liberté d'expression" au lendemain de
l'attaque contre Charlie Hebdo (12 janvier 2015), en ligne :
Terminons sur une
citation de Gandhi, disciple de la non-violence, que j'affectionne tout
particulièrement :
« La presse représente une puissance considérable; mais, de même qu’un fleuve déchaîné submerge des campagnes entières et ravages les récoltes, de même une plume sans contrôle ne peut que tout détruire. Si le contrôle vient de l’extérieur, il est encore plus nocif que s’il n’y en avait pas. Pour être profitable, il doit être exercé par celui-là même qui écrit. Si cette ligne de conduite est correcte, combien de journaux au monde résisteraient à ce critère de sélection? ».
Source : Gandhi, Tous
les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses
œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969 aux
pp.60-61.
Éric Folot
Avocat et bioéthicien
NB : Les opinions émises dans ce blog sont
personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon
employeur.
Questions-réponses
Question 1
Faudrait-il faire le silence sur ces actes? Sur des personnes qui utilisent une religion pour exercer un contrôle, voire le droit de vie et de mort sur ceux qui n'adoptent pas la même pensée qu'eux, sur des dirigeants tyranniques, des gouvernements qui nous manipulent et nous considèrent comme un troupeau de moutons? Faut-il se comporter en mouton et ne rien dire? Parfois l'humour sarcastique permet de dénoncer ces situations et sert de soupape collective pour évacuer la frustration à ce qu'on ne peut changer. Mieux vaut utiliser un crayon qu'une arme. Il faut parfois des images très fortes pour soit amener une réflexion, soit servir d'exutoire à un sentiment d'indignation devant les absurdités de la vie... Le sarcasme n'est pas de la pure méchanceté gratuite même si étymologiquement l'origine du mot va dans ce sens, au fil du temps, les mots perdent parfois leurs sens originel pour exprimer autre chose...je ne suis pas toujours d'accord avec toutes les idées véhiculées mais je crois qu'elles peuvent toutes être exprimées, après on a le choix de répondre ou d'ignorer.
Ma réponse
Je comprends et
j'entends, mais personnellement je crois que l'on peut critiquer les religions
en s'abstenant de les ridiculiser, de mépriser leur dieu ou leurs prophètes et
d'humilier les croyants. La satire et le sarcasme ne sont que des modes
d'expression et ne sont pas les seuls. D'autres modes d'expression plus
authentiques, plus honnêtes et plus respectueux existent. On peut exprimer une
critique aussi acerbe en utilisant un ton respectueux et honnête. L'important
dans la liberté d'expression est de pouvoir exprimer l'idée que l'on souhaite
(n'importe quel contenu). Dans la mesure où il est possible d'exprimer le même
contenu par un mode d'expression plus respectueux de la dignité humaine
pourquoi s'évertuer à employer la satire ou le sarcasme. Par exemple, dans mon
mémoire de maîtrise en droit portant sur les décisions de fin de vie
(euthanasie et aide au suicide), j'ai vertement critiqué l'Église catholique en
relatant des faits et en soulevant des contradictions sans employer la satire
ou le sarcasme. Juridiquement, toute personne a le droit d'employer le
sarcasme. En revanche, éthiquement (donc idéalement) je suis d'avis (et il ne
s'agit que de mon opinion personnelle) que les gens devraient éviter d'y
recourir.Voici ce que je disais :
"l'Église catholique condamne l'euthanasie. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, la Bible qui interdit de tuer (Deutéronome 5:17) cautionne, par ailleurs, la mort par lapidation (Deutéronome 22:21 et suivants). « Saint Thomas d’Aquin justifiait la peine de mort pour les hérétiques » selon John Rawls. De plus, au Moyen Âge, l’Église (le Pape) a approuvé les croisades et la chasse aux sorcières. John Ellard affirme : « There were eight Crusades in the 11th, 12th and 13th centuries. There were many massacres and there was much chaos. Estimates of the numbers killed in the Crusades ranged from two million to nine million. There was also the torture and the slaughter of witches. The Bible gives the command ‘‘Thou shalt not suffer a witch to live’’ (Ex 22:18). Burning alive was the usual fate ». Pour la religion chrétienne, il serait donc éthiquement acceptable de tuer une personne qui ne désire pas mourir pour la punir, mais il serait éthiquement inacceptable de tuer par compassion une personne qui désire mourir pour soulager ses souffrances. Bref, « there have always been reasons to be discovered for killing those who did not want to die, and preventing the deaths of those who no longer wished to live. The reasons were not based on logic, nor on compassion, but on moralities derived from religious beliefs, or political goals ». Il peut exister des circonstances qui justifient de ne pas respecter le commandement « ne pas tuer ». Par exemple, Moïse, homme de Dieu, n’a pas respecté le commandement qu’il avait lui-même proclamé dans les Tables de la Loi. L’Abbé Pierre affirme : « Il y a des devoirs Absolus en eux-mêmes : par exemple, tu ne tueras pas. Dans le même temps, je peux me trouver dans de telles circonstances que je ne voie pas d’autre moyen de sauver une foule de gens menacés que de tuer. J’ai relu cet épisode avec horreur : c’est Moïse, qui a fait massacrer trente mille personnes, dit-on, à propos du veau d’or. À peine descendu du Sinaï, il apporte la loi « tu ne tueras point », et son premier geste est d’en zigouiller trente mille !".
Source : Eric Folot, Étude
comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le
regard de l'éthique, Maîtrise en droit, Université de Sherbrooke, hiver
2010 à la p.132, n.658.
Nous vivons dans une
société pluraliste et tolérante. Ce pluralisme et cette tolérance est le prix à
payer pour vivre dans un pays libre. Ronald Dworkin affirmait :
"Tolerance is a cost we must pay for our adventure in liberty (...) Freedom is the cardinal, absolute requirement of self-respect : no one treats his life as having any intrinsic, objective importance unless he insists on leading that life himself, not being ushered along it by others, no matter how much he loves or respects or fears them".
Et c'est pour cette
raison que je crois que toute personne devrait avoir la liberté d'apprécier le
sarcasme. Néanmoins, je suis du même avis que Charles Taylor et je crois
également qu'il existe des "formes élevées" et des "formes
basses" de la liberté. Il affirmait :
"Comme toute forme d'individualisme et de liberté, l'authenticité inaugure une époque de « responsabilisation », si on me passe le terme. Par le fait même que cette culture se développe, les gens deviennent plus responsables d'eux-mêmes. C'est une conséquence inévitable de tout accroissement de la liberté que les gens puissent descendre plus bas ou monter plus haut [...] La nature d'une société libre repose sur le fait qu'elle sera toujours le théâtre d'un conflit entre les formes élevées et les formes basses de la liberté. On ne peut abolir ni l'une ni l'autre, mais on peut en déplacer la ligne de partage".
Source : Charles Taylor, Les
sources du moi : la formation de l’identité moderne, trad. par
Charlotte Melançon, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998 aux pp.98-99.
Charlotte Melançon, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998 aux pp.98-99.
J'ai donc espoir
qu'un jour il y aura de moins en moins de personne qui apprécie le sarcasme
(une forme basse de la liberté selon moi).
Prenons le cas de Gab
Roy et Mariloup Wolfe. Selon Raphaelle Savard, les propos de Gab Roy sur
Mariloup était de l'humour sarcastique... de l'humour vraiment ? Voici ses
propos :
"Gab Roy, un humoriste controversé, a rédigé une lettre offensante à l'égard de Mariloup Wolfe lorsque cette dernière était au centre de rumeurs de séparation avec son conjoint de longue date. Cette lettre suggérait les gestes sexuels que l'auteur désirait faire subir à l'actrice. La lettre a rapidement fait le tour du Québec et a créé un vent de révolte quant à son contenu.Le jour de la femme, Mariloup Wolfe a décidé d'agir et de poursuivre Gab Roy. Ce que j'ai lu sur le sujet dans la presse et les commentaires que j'ai entendu ont été presque tous positifs, les gens saluaient le geste de l'actrice qui dénonçait, selon eux, la culture du viol. Mike Ward, un humoriste avec un humour «cru» est le seul à ma connaissance à s'être positionné contre la poursuite. Voici un extrait de son message publié sur sa page facebook:« Je ne connais pas Gab Roy mais je ne crois pas que son but en écrivant la lettre était de blesser Mariloup Wolfe, je crois sincèrement que son but était de faire rire ses lecteurs.Est-ce qu’il a réussi? Non. Mais est-ce qu’il devrait payer 300 milles dollars pour avoir écris un mauvais gag? Non plus. Si a chaque fois qu’on écrivait un mauvais gag ça nous coûtait 300 milles, le gars qui a écrit la série LOL ; ) aurait de sérieux trouble financier. »Pour ma part, je suis complètement en accord avec les propos de Mike Ward. Oui, Gab Roy a fait une blague de mauvais goût qui n’aurait jamais dû être écrite ou publiée. Son humour particulier plaît à un certain groupe d’individus, et je crois aussi que son but était d’abord de les faire rire, pas de blesser ou d’insulter qui que ce soit (...)L’humour est un monde complexe puisque personne ne partage les mêmes références en ce qui a trait à ce qui est drôle et ce qui est de mauvais goût. En parcourant la page de Gab Roy, on voit plusieurs de ses admirateurs qui s’insurgent contre la poursuite ou son traitement sur le plateau de Tout le monde en parle. Est-ce que ces individus se positionnent comme étant pour la culture du viol? Personnellement, je ne crois pas. Je crois qu’ils appuient un humoriste qu’ils apprécient dans ses bons coups comme dans ses erreurs".
Source : Raphaelle Savard, Mariloup
Wolfe et Gab Roy, Éthique de la communication publique, Le blogue-forum
collectif des étudiants du cours "Éthique de la communication
publique", Université Laval, Québec (12 mars 2014), en ligne : http://ethiquedelacom.blogspot.ca/2014/03/marilou-wolfe-et-gab-roy.html
Le sarcasme est une
boîte de pandore, une pente glissante... si on s'y adonne on ne peut pas traçer
de limites tolérables... à chacun sa limite...le dossier Gab Roy-Mariloup Wolfe
est éloquent à ce sujet...
Éric Folot
Avocat et bioéthicien
NB : Les opinions émises dans ce blog sont
personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon
employeur.
Lire aussi les textes
suivants avec lesquels je suis d'accord :
Mustafa Caglayan,
"Norman Finkelstein : Charlie Hebdo n'est pas satirique, il est
sadique" (19 janvier 2015), en ligne : http://normanfinkelstein.com/2015/01/20/norman-finkelstein-charlie-hebdo-nest-pas-satirique-il-est-sadique/
Jocelyn Maclure,
"Le droit de "Charlie Hebdo" de critiquer, et le droit de
critiquer "Charlie Hebdo" (7 janvier 2015) L'actualité, en ligne : http://www.lactualite.com/blogues/le-blogue-politique/charlie-hebdo-la-puissance-des-images/
Didier Fassin,
""Charlie": éthique de conviction contre éthique de
responsabilité" (19 janvier 2015) Libération, en ligne : http://www.liberation.fr/societe/2015/01/19/charlie-ethique-de-conviction-contre-ethique-de-responsabilite_1184055
Jean-Pierre Proulx,
"Pour une éthique de la liberté d'expression" (16 janvier 2015) Le
Devoir, en ligne : http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/429081/pour-une-ethique-de-la-liberte-d-expression
François Huguenin,
"Liberté d'expression, religions, caricatures : le décryptage de François
Huguenin" (20 janvier 2015) Le Figaro, en ligne : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/01/20/31003-20150120ARTFIG00093-liberte-d-expression-religions-caricatures-le-decryptage-de-francois-huguenin.php
Maiwen Leray,
"Je suis Charlie..., ou pas, disent mes élèves de lycée. Ils ont raison de
s'interroger" (16 janvier 2015) Le nouvel observateur (le plus), en ligne
: http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1307216-je-suis-charlie-ou-pas-disent-mes-eleves-de-lycee-ils-ont-raison-de-s-interroger.html
Judith Lussier,
"L'âge de raison" (22 janvier 2015) Journal Metro, en ligne : http://journalmetro.com/opinions/prochaine-station/706900/lage-de-raison/
Lire les textes
suivants avec lequels je suis en désaccord :
Daniel Weinstock,
"The (messy) ethics of freedom of speech" (January 26, 2015) In due
course, en ligne : http://induecourse.ca/the-messy-ethics-of-freedom-of-speech/
Mathieu Bock-Côté,
"Liberté d'expression 101" (10 janvier 2015) Journal de Montréal, en
ligne : http://www.journaldemontreal.com/2015/01/10/liberte-dexpression-101
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