mercredi 25 février 2015

Humour sarcastique: entre le droit et l'éthique


« Faire du mal joyeusement, aucune foule ne résiste à cette contagion. Toutes les exécutions ne sont pas sur des échafauds, et des hommes, dès qu’ils sont réunis, qu’ils soient multitude ou assemblée, ont toujours au milieu d’eux un bourreau tout prêt, qui est le sarcasme » (Victor Hugo)[1].
« The habit of irony, like that of sarcasm, spoils the character ; it gradually fosters the quality of a malicious superiority ; one finally grows like a snappy dog, that has learnt to laugh as well as to bite » (Nietzsche).
« Sarcasm I now see to be, in general, the language of the Devil; for which reason I have, long since, as good as renounced it » (Thomas Carlyle )[2].
Entre le droit et l’éthique

Définition du sarcasme

Le dictionnaire étymologique définit le sarcasme ainsi : « from sarkazo, to draw aside the flesh »[3]. Par ailleurs, le « Oxford Dictionary » le définit ainsi : « The use of irony to mock or convey contempt »[4]. Le Centre national de ressources textuelles et lexicales parle de « trait mordant d’ironie, de raillerie cruelle »[5]. Ari Drucker affirme :
« Sarcasm, in contrast, depends for its effect on “the use of bitter, caustic and other ironic language directed against an individual” (Oxford English Dictionary). The main difference lies in the words “directed against an individual”, while irony can be used neutrally, referring to a situation without being directed at any specific individual, sarcasm must have a "victim", the person towards whom the sarcasm is directed. Therefore, it has also been regarded in the literature as aggressive humor »[6].
En d’autres termes, le sarcasme est une forme d’humour agressif employé pour véhiculer ou exprimer du mépris contre une personne désignée (une victime). Selon Richard Chin, le sarcasme comporte deux faces : l’une drôle, l’autre méchante. Il affirme :
« Sarcasm has a two-faced quality: it’s both funny and mean. This dual nature has led to contradictory theories on why we use it. Some language experts suggest sarcasm is used as a sort of gentler insult, a way to tone down criticism with indirectness and humor. “How do you keep this room so neat?” a parent might say to a child, instead of “This room is a sty.” But others researchers have found that the mocking, smug, superior nature of sarcasm is perceived as more hurtful than a plain-spoken criticism. The Greek root for sarcasm, sarkazein, means to tear flesh like dogs »[7].
Notre culture est pénétrée de sarcasme. Certains parlent de « Golden Age of Sarcasm »[8]. Les personnes qui ne comprennent pas le sarcasme seraient donc socialement mésadaptées. Richard Chin affirme :
« “Our culture in particular is permeated with sarcasm,” says Katherine Rankin, a neuropsychologist at the University of California at San Francisco. People who don’t understand sarcasm are immediately noticed. They’re not getting it. They’re not socially adept » »[9].
Selon une étude publiée en octobre 2014 dans la revue Humor (International Journal of Humor Research), les femmes et les hommes préfèrent lorsque le sarcasme est dirigé contre les hommes :
« Results show that, as predicted by Ariel and Giora (1998), female participants fully adopted a feminine point of view, enjoying sarcastic irony best when it was directed by women at men and least when it was directed by women at women. Being more sexist, our male participants adopted a feminine point of view only partially, enjoying sarcastic irony more when directed at men than directed at women, regardless of the speaker's gender »[10].
Le droit et le sarcasme

L’humour sarcastique transmet un message et est donc protégé par la liberté d’expression garantie par nos Chartes. Dans l’arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott (2013), le juge Rothstein affirmait, au nom de tous les juges de la Cour suprême du Canada, que le caractère dénigrant, répugnant, blessant et offensant de l’humour sarcastique (qui peut porter atteinte à la dignité humaine et également inspirer des sentiments de supériorité) ne saurait justifier une atteinte à la liberté d’expression. Dit autrement, le législateur ne pourrait légalement interdire l’humour sarcastique, car cette atteinte à la liberté d’expression ne saurait se justifier dans une société libre et démocratique. Le juge Rothstein affirme :
« Les formes d’expression qui critiquent et qui cultivent l’humour au détriment d’autres personnes peuvent être dénigrantes au point de devenir répugnantes.  Les représentations qui rabaissent un groupe minoritaire ou qui portent atteinte à sa dignité par des blagues, des railleries ou des injures peuvent être blessantes.  Toutefois, pour les raisons que j’ai exposées, les idées offensantes ne suffisent pas pour justifier une atteinte à la liberté d’expression.   Ces formes d’expression peuvent inspirer des sentiments de dédain et de supériorité, mais elles n’exposent pas le groupe ciblé à la haine »[11].
L’éthique et le sarcasme

Selon Dane Scott, professeur au centre d’éthique de l’Université de Montana, le sarcasme n’est pas une forme d’humour, mais est destructif, moquant et blessant. Il parle de « laughter of conflict ».  Il affirme :
« Humility and humor seem to be coworkers in perfecting our character (…) Humor helps us to become better people by keeping us humble in a positive way. It allows us to smile at our limitations, avoiding despair. It is a form of constructive criticism that we welcome in the front door. Humor allows us to relax our guarded ego. It humbles us without harming us. However, not everything that makes us laugh is humorous—some things just shouldn’t be funny. It might be useful to make a distinction between humor and sarcasm (…) The kind of laughter that helps us be come better people is not sarcasm.  The problem with sarcasm, as opposed to humor, is it laughs at other people, not with  them. While it is certainly entertaining and sometimes useful to see pompous and self-important people brought down a notch or two, it doesn’t do us any good. When Mark Twain remarked that, “Often it does seem a pity that Noah and his party did not miss the boat” he includes himself in the joke. Sarcasm is never sarcastic about itself. Its target is other people. It is more a coworker of pride than humility, because it excludes the one making the joke from the joke. As one thinker notes: Sarcasm is destructive, mocking and wounding; it’s the laughter of conflict. Sarcasm is funny, but contemptuous. Humor, on the other hand, is self-effacing and includes everyone in the joke »[12].
Pour reprendre les propos susmentionnés de la Cour suprême du Canada, le sarcasme comporte un caractère dénigrant, répugnant, blessant et offensant qui peut parfois inspirer des sentiments de supériorité. Nietzsche affirmait également :
« The habit of irony, like that of sarcasm, spoils the character ; it gradually fosters the quality of a malicious superiority ; one finally grows like a snappy dog, that has learnt to laugh as well as to bite »[13].
En éthique, nous sommes responsables des conséquences prévisibles de nos actes (et non seulement des conséquences voulues et désirées).  En conséquence, les bonnes intentions qui sous-tendent et motivent les propos sarcastiques ne suffisent pas à les justifier. Des propos blessants ou humiliants qui portent atteinte à la dignité humaine ne peuvent donc être justifiés éthiquement par une intention bienveillante. Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada, « le "chemin" du crime, tout comme celui de l'enfer, peut être pavé de bonnes intentions »[14].

En conséquence, l’emploi de sarcasmes est, comme le soutient le Refuge pour les femmes de l’ouest de l’île, un manque de respect[15]. C’est pourquoi certaines personnes estiment que « la ligne est parfois mince entre l’intimidation, l’humour noir et le sarcasme »[16]. En effet, selon Mme Penny Pexman, qui étudie le sarcasme depuis 6 ans et qui est professeure au département de psychologie à l’Université de Calgary, « le sarcasme est l'un des éléments clés de l'intimidation ». Elle affirme :
« « Les adultes parlent sans arrêt avec sarcasme aux enfants et leur disent qu'ils ne font que les taquiner », fait remarquer Mme Pexman. « En fait, la plupart des enfants jusqu'à l'âge de 10 ans, et même parfois après, ne trouvent pas vraiment que le sarcasme soit drôle. Étant donné que le sarcasme est l'un des éléments clés de l'intimidation, il est important que nous comprenions les facteurs qui aident les enfants à l'interpréter. » »[17].
Par exemple, la Politique et plan d’action pour contrer l’intimidation 2012-2013 de l’école Saint-François-d’Assise mentionne :
« Qu’est-ce que l’intimidation?
L’intimidation est l’utilisation de l’agression dans le but intentionnel de blesser une autre personne :
Les actes d’intimidation répétés et volontaires ou encore un geste isolé, mais grave qui peut être considéré comme de l’intimidation sont réalisés par une personne ou un groupe d’individus.
Nous y retrouvons aussi un rapport de force qui a un effet négatif sur la victime.
Physiquement : Pousser, donner des coups de pied, frapper, pincer et pratiquer  d’autres formes de violence ou de menace.
Verbalement : Crier des noms, user de sarcasme, faire circuler de fausses rumeurs (…) »[18].
De même, selon la Sécurité publique du Québec, les sarcasmes et les insultes peuvent faire place à la violence[19] notamment la violence verbale[20].

Il n’est donc pas étonnant que le philosophe libéral John Stuart Mill fût favorable à l’idée d’interdire l’arme du sarcasme dans les discussions pourvu qu’elle soit interdite pour tous, c’est-à-dire autant pour ceux qui défendent des idées à contre-courant et minoritaires (qui s’opposent au pouvoir en place) que pour ceux qui défendent les idées reçues, dominantes et majoritaires (qui défendent le pouvoir en place). Il était également d’avis que l’arme du sarcasme devait autant que possible ne pas être employée contre les personnes faibles et vulnérables. Il affirmait :
« With regard to what is commonly meant by intemperate discussion, namely, invective, sarcasm, personality, and the like, the denunciation of these weapons would deserve more sympathy if it were ever proposed to interdict them equally to both sides; but it is only desired to restrain the employment of them against the prevailing opinion: against the unprevailing they may not only be used without general disapproval, but will be likely to obtain for him who uses them the praise of honest zeal and righteous indignation. Yet whatever mischief arises from their use, is greatest when they are employed against the comparatively defenseless; and what ever unfair advantage can be derived by any opinion from this mode of asserting it, accrues almost exclusively to received opinions »[21].
La féministe et humoriste Molly Ivins est également d’avis que le sarcasme ne se justifie que lorsqu’il est employé par des personnes faibles et vulnérables contre des personnes puissantes afin de rétablir un équilibre dans les rapports de force. Elle affirme : 
« Satire is traditionally the weapon of the powerless against the powerful. I only aim at the powerful. When satire is aimed at the powerless, it is not only cruel -- it's vulgar ».
Alors que le sarcasme devrait être employé par les personnes vulnérables contre les puissants de ce monde, il est de nos jours généralement employé par les humoristes contre les personnes vulnérables et au service des puissants. Le philosophe François L'Yvonnet affirme :
« Comment définiriez-vous ce néo-humoriste?
C'est un personnage dont le rire est le fond de commerce et qui a pour spécialité de tourner en dérision, c'est une machine à sarcasmes. Le propre de ce sarcasme, c'est qu'il est le monopole de quelques-uns, et que c'est un sarcasme dont l'humoriste est à la fois le juge et la partie, la norme et l'application. C'est un humour intégré au sens où en parlaient les situationnistes: ce n'est plus une arme servant à lutter contre un pouvoir, c'est le système qui produit sa propre dérision, interne, qui ne remet pas en cause un ordre, mais qui l'entérine. La critique est devenue une manière d'entériner les choses. On organise des débats artificiels, par exemple sur Canal plus, qui n'ont d'autre but que de faire la promotion masquée d'une doxa (…) Les artistes deviennent le bras séculier du pouvoir alors qu'ils devraient au contraire le tenir à bonne distance. Il y a toujours eu des artistes proches du pouvoir, mais à ce point-là, jamais (…) les humoristes savent qu'ils ne prennent aucun risque en se moquant des politiques, car le véritable pouvoir n'est plus là. Le pouvoir, c'est l'argent, mais ça ils n'en rient pas. On n'a jamais vu Guillon se moquer des propriétaires de Canal ou de TF1 (…) le sérieux est irrémédiablement frappé d'excommunication du débat public »[22].
Plusieurs professionnels condamnent également le sarcasme. Selon le psychologue Clifford N. Lazarus, le sarcasme est de l’hostilité déguisée en humour et une forme subtile d’intimidation. Il affirme :
« If you want to be happier and improve your relationships, cut out sarcasm since sarcasm is actually hostility disguised as humour. Despite smiling outwardly, most people who receive sarcastic comments feel put down and usually think the sarcastic person is a jerk.  Indeed, it’s not surprising that the origin of the word sarcasm derives from the Greek word “sarkazein” which literally means “to tear or strip the flesh off.”  Hence, it’s no wonder that sarcasm is often preceded by the word “cutting” and that it hurts (…) After all, when you come right down to it, sarcasm is a subtle form of bullying (…) don't hestate to tell others that you don't appreciate their sarcastic comments because it's just thinly veiled hostility and unacceptable bullying »[23].
Pour sa part, la sexologue Mériza Joly est d’avis qu’il y a toujours un brin de méchanceté dans le sarcasme. Selon elle, rares sont les relations qui perdurent dans cette attitude, car le sarcasme est un « vrai tue-amour ». Elle affirme :
« Le sarcasme est un trait mordant d’ironie et de raillerie cruelle. « Il se rapproche de l’humour noir, mais est plus acerbe là où l’humour noir cherche plutôt à faire rire. Le sarcasme n’est pas toujours considéré comme une forme d’humour. » Il y a toujours un brin de méchanceté dans le sarcasme et rares sont les relations qui perdurent  dans cette attitude. Le sarcasme remet en doute la pertinence de faire confiance à l’autre et au lieu de susciter l’envie, il est un vrai tue-amour. Si vous persévérez dans cette attitude, vous nuisez grandement au succès de votre relation »[24].
Vanessa Van Edwards affirme également : « Sarcasm is not only hurtful, it is also the least genuine mode of communication »[25].

Selon le Arizona Family Institute, les enfants apprennent à devenir sarcastiques en imitant leurs parents :
« one mother stated, “My kids are so sarcastic.  They are constantly being rude to each other and being sarcastic with me.” Then she asked, “Do you think they got that from me?” The simple answer to that question is probably so.  Children generally learn how to interact with people by watching their parents (and other adults) interact with them and with others.  When parents use sarcasm to release frustration or to point out what they think should be obvious, they model using sarcasm for their children. Sarcasm, by nature, is insincere. Because of the way the brain develops in children, most children under the age of 9 or 10 don’t understand that what is said is the opposite of what is meant.  Even so, if sarcasm is often used by the parents when they interact with members of the family, even young children may start to use it with those they interact with. Today sarcasm is embedded into American culture. When children are constantly exposed to sarcasm, they learn using sarcasm is appropriate.  However, when they use it with their parents, parents often respond with, “Don’t you pull that attitude with me.  Show some respect.”  If parents feel disrespected when their children use sarcasm with them, isn’t it possible, or more likely probable, that their children may feel disrespected when parents use sarcasm with them?  When disrespect begins with the parents, the children may feel justified in being disrespectful as well. »[26].
Pourquoi certaines personnes ont recours au sarcasme ou à l’humour sarcastique ?

Selon Ari Drucker, ridiculiser ou se moquer d’une personne permet d’affirmer sa supériorité. Cette explication prendrait racine dans la nature humaine. Il affirme :
Why does male bonding rely on teasing and sarcasm, while female bonding relies on sharing and supporting? Why did the men in our study find the settings in which other men, their ingroup members, were being derided to be the most enjoyable? Perhaps the answer to this lies deep in human nature (while not excluding the possibility that these “natural” traits are results of socialization processes). Steven Pinker, in his book “how the mind works” (1997), states - from an evolutionary psychology point of view - that “Every human society acknowledges some kind of superiority hierarchy, especially among males. Males strive to achieve superiority using different methods, among humans as well as other species.” That is to say, men are competitive. Many studies of child development have shown this trait to be typical even of boys at young ages, e.g. Maltz and Borker (1982) researched children‟s play and showed that girls use words to create and maintain relationships of closeness and equality, while boys use words to assert their own position of dominance. Men enjoy seeing another man derided, since it only gets them one step closer to winning the “Alpha Male” title. Under the assumption that similarly to our female participants, our male participants must also be aware of their being the dominant group, it is plausible that their competitiveness is expressed only towards other men. Therefore they found situations in which men were derided to be more enjoyable than those in which women were derided (indicated in figure 2 by the blue line being above the red line). Competition with women, the disempowered group, is of no interest to them. And the fact that they still enjoyed it most when men were derided by other men rather than by women, is perhaps due to the fact that in this particular setting they can fully identify with the derider »[27].
Le philosophe Nietzsche, qui est d'avis que le sarcasme favorise le développement d'une supériorité malicieuse (voir la citation susmentionnée), affirmait également :
« La cruauté était la réjouissance préférée de l'humanité primitive (...) La "méchanceté désintéressée" (...) apparaît chez elle, par principe, comme un attribut normal de l'homme (...) Voir souffrir fait du bien, faire souffrir plus de bien encore, voilà une vérité, mais une vieille et puissante vérité capitale, humaine, trop humaine, à quoi du reste les singes déjà souscrivaient peut-être : on raconte en effet que par l'invention de bizarres cruautés ils annoncent déjà pleinement l'homme (...) Sans cruauté, point de réjouissance, voilà ce que nous apprend la plus ancienne et la plus longue histoire de l'homme »[28]. « Presque tout ce que nous appelons une civilisation supérieure repose sur la spiritualisation et l'approfondissement de la cruauté ; voilà ma thèse (...) Ce qui plaisait aux Romains à l'amphithéâtre, aux chrétiens dans l'extase de la croix, aux Espagnols dans les autodafés ou les courses de taureaux, ce qui plaît de nos jours aux Japonais qui se pressent en foule à la tragédie, à l'ouvrier parisien qui a la passion des révolutions sanglantes (...) ce qu'ils savourent tous (...) ce sont les breuvages épicés de la grande Circé dont le nom est Cruauté (...). L'homme est le plus cruel des animaux. C'est en assistant à des tragédies, à des combats de taureaux et à des crucifixions qu'il s'est jusqu'à présent senti le plus heureux sur terre »[29].
Conclusion

En somme, le sarcasme est une forme d’humour agressif employé pour véhiculer ou exprimer du mépris contre une personne désignée (une victime). Notre culture est à ce point pénétrée de sarcasme que les personnes qui ne comprennent pas le sarcasme seraient socialement mésadaptées. Selon une étude, les femmes et les hommes préfèrent lorsque le sarcasme est dirigé contre les hommes.

L’humour sarcastique transmet un message et est donc protégé par la liberté d’expression garantie par nos Chartes. Ainsi le caractère dénigrant, répugnant, blessant et offensant de l’humour sarcastique ne saurait justifier une atteinte à la liberté d’expression (comme le reconnaît la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Whatcott (2013) susmentionné).

Bien que cet humour soit protégé par la liberté d’expression, il peut constituer un manque de respect et porter atteinte à la dignité humaine (comme le reconnaît la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Whatcott (2013) susmentionné et le Refuge pour les femmes de l’ouest de l’île). Il peut également inspirer des sentiments de supériorité malicieuse comme le reconnaissent le philosophe Nietzsche  et la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Whatcott (2013) susmentionné. Selon Mme Penny Pexman, qui étudie le sarcasme depuis 6 ans et qui est professeure au département de psychologie à l’Université de Calgary, « le sarcasme est l'un des éléments clés de l'intimidation ». De même, selon la Sécurité publique du Québec, les sarcasmes et les insultes peuvent faire place à la violence notamment la violence verbale. Il n’est donc pas étonnant que le philosophe libéral John Stuart Mill fût favorable à l’idée d’interdire l’arme du sarcasme dans les discussions.

Le cas de Justin Carter aux États-Unis[30] démontre que le sarcasme est donc loin d'être anodin et qu’il est la plupart du temps éthiquement condamnable. D'ailleurs, selon Dane Scott, professeur au centre d’éthique de l’Université de Montana, le sarcasme n'est pas de l'humour, mais est destructif, moquant et blessant. Il parle de « laughter of conflict ». Selon le psychologue Clifford N. Lazarus, le sarcasme est de l’hostilité déguisée en humour et une forme subtile d’intimidation. Pour sa part, la sexologue Mériza Joly est d’avis qu’il y a toujours un brin de méchanceté dans le sarcasme. Selon elle, rares sont les relations qui perdurent dans cette attitude, car le sarcasme est un « vrai tue-amour ». Pour terminer, citons Lawrence G. Lovasik qui résume bien mon opinion sur le sarcasme. Il affirme :
« A sarcastic person has a superiority complex that can be cured only by the honesty of humility. Draw the line between innocent practical jokes and unkind, dangerous, and malicious schemes against the feelings, principles, and good nature of your friends. So-called practical jokes that interfere with another’s work, or bring laughter down on his physical defects, or bring him into public scorn, are evil and unkind. If you are guilty of this type of unkindness, make a strong resolution that you will never consciously give pain to anyone »[31].
Éric Folot
Avocat et bioéthicien

NB : Les opinions émises dans ce blog sont personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon employeur.

À écouter à l'émission française "Les grandes questions" sur Cultre infos (France 5) le documentaire intitulé "La tyrannie du sarcasme (Rire : tyrannie ou contre pouvoir ?)", en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=qcH-oyi5aho



[1] Victor Hugo, L’homme qui rit, t.4, Paris, Librairie Internationale, 1869 à la p.265.
[2] Thomas Carlyle, Sartor resartus. Heroes and hero-worship, vol.1, book 2, D. Estes and C.E. Lauriat, 1884 à la p.100.
[3] William Grimshaw, An etymological dictionary, Printed by Lydia R. Bailey, 1821.
[6] Ari Drucker, And they say women don’t have a sense of humour : on gender and sarcasm, Master thesis, Tel-Aviv University, october 2011 à la p.3, en ligne : http://humanities.tau.ac.il/linguistics_eng/images/stories/Ari_Drucker_MA_2011.pdf
[7] Richard Chin, « The science of Sarcasm ? Yeah, Right (14 novembre 2011), en ligne : http://www.smithsonianmag.com/science-nature/the-science-of-sarcasm-yeah-right-25038/?no-ist
[8] Roy Blount Jr., « Mark Twain : our original superstar » (July 3, 2008) Time, en ligne : http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,1820166,00.html
[9] Richard Chin, « The science of Sarcasm ? Yeah, Right (14 novembre 2011), en ligne : http://www.smithsonianmag.com/science-nature/the-science-of-sarcasm-yeah-right-25038/?no-ist
[10] Ari Drucker, Ofer Fein, Dafna Bergerbest and Rachel Giora, « On sarcasm, social awareness and gender » (2014) 27 :4 Humor, en ligne : http://www.degruyter.com/view/j/humr.2014.27.issue-4/humor-2014-0092/humor-2014-0092.xml
[11] Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, [2013] 1 RCS 467 au para.90, j. Rothstein (pour la Cour).
[12] Dane Scott, « Humor and humility » (July 24, 2008), en ligne : http://www.umt.edu/ethics/imx/radioessays/comment_Humor and Humility.pdf
[13] Friedrich Nietzsche, Human all to human, au para.372,  en ligne : http://www.lexido.com/EBOOK_TEXTS/HUMAN_ALL_TOO_HUMAN_BOOK_ONE_.aspx?S=372
[14] R. c. Kelly, [1992] 2 RCS 170, j. McLachlin.
[15] Refuge pour les femmes de l’ouest de l’île, « Les signes précurseurs et les débuts d’une relation abusive », en ligne : http://refugepourlesfemmesdelouestdelile.org/accueil/les-signes-precurseurs-et-les-debuts-dune-relation-abusive/
[16] Christian Caron, « Intimidation envers les élus : une situation tolérable » (22 octobre 2014) Le SherbrookeExpress, en ligne : http://www.lejournaldesherbrooke.ca/2014/10/22/intimidation-envers-les-elus--une-situation-tolerable . Voir aussi les Mythes et faits de l’intimidation, en ligne : http://www.bullying.org/external/documents/Bullying_Myths-Facts_Pamphlet_French.pdf
[17] Conseil de recherches en sciences humaines, « Recherche sur le sarcasme : comme si c’était nouveau ! » (13 avril 2006), en ligne : http://www.sshrc-crsh.gc.ca/society-societe/stories-histoires/story-histoire-fra.aspx?story_id=20
[18] Politique et plan d’action pour contrer l’intimidation 2012-2013 de l’école Saint-François-d’Assise, en ligne : http://st-francois.csvdc.qc.ca/wp-content/uploads/sites/36/2014/12/Politique-intimidation-12-13.pdf. Voir aussi http://education.alberta.ca/francais/parents/aesinfoparentsens/intimidation.aspx . Voir aussi A. Wayne MacKay, Rapport de la Commission d’étude sur l’intimidation et la cyberintimidation de la Nouvelle-Écosse, 29 février 2012 à la p.13.
[19] André Corbeij, « Battu à son école parce qu’il fait du patin artistique » (21 avril 2012), en ligne : http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2012/04/20120421-223725.html
[20] Sécurité publique du Québec, « Relations amoureuses et violence », en ligne : http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/police/prevention-criminalite/ados/relations-amoureuses-violentes.html
[21] John Stuart Mill, On Liberty (« Of the liberty of thought and discussion ») à la p.31.
[22] Eugénie Bastien, « Comicocratie : pourquoi les humoristes sont devenus tout puissants » (21 février 2014) Le Figaro, en ligne : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/02/21/31003-20140221ARTFIG00364-comicocratie-pourquoi-les-humoristes-sont-devenus-tout-puissant.php
[23] Clifford N. Lazarus, « Think sarcasm is funny ? Think again (June 26, 2012), en ligne : http://www.psychologytoday.com/blog/think-well/201206/think-sarcasm-is-funny-think-again
[24] Mériza Joly, « «  Un éléphant dans le salon » : 5 problèmes de couples » (2 décembre 2013) : n ligne : http://merizajolysexologue.wordpress.com/2013/12/
[26] Arizona Family Institute, « The effect of sarcasm on children », en ligne :
[27] Ari Drucker, And they say women don’t have a sense of humour : on gender and sarcasm, Master thesis, Tel-Aviv University, october 2011 à la p.21, en ligne : http://humanities.tau.ac.il/linguistics_eng/images/stories/Ari_Drucker_MA_2011.pdf.
[28] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, trad. par Henri Albert, Paris, Mercure de France, 1964 aux pp.90-91.
[29] Friedrich Nietzsche, Par delà le bien et le mal, trad. par Geneviève Bianquis, Aubier, Éditions Montaigne, 1951 aux pp.167-168 (para.229). Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. par Marthe Robert, Paris, Union générale d'édition, 1958 à la p.207.
[30] Doug Gross, « Teen in jail for months over « sarcastic » facebook threat » (July 3, 2013), en ligne : http://www.cnn.com/2013/07/02/tech/social-media/facebook-threat-carter/
[31] Lawrence G. Lovasik, The Hidden Power of Kindness: A Practical Handbook for Souls Who Dare to Transform the World, One Deed at a Time, Sophia Institute Press, 1999 à la p.163.


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