Dans le
débat interminable sur la fin de vie, autant ceux qui sont défavorables à la
légalisation de l’euthanasie volontaire que ceux qui y sont favorables usent
d’un langage voilé et d’euphémismes afin de rechercher, d’une manière
détournée, le consensus sur une question qui divise la population.
Les
personnes qui sont défavorables à la légalisation de l’euthanasie volontaire
assimilent l’euthanasie volontaire au meurtre. Bien que cette affirmation soit
valable en droit, elle perd toute crédibilité en éthique en dehors de toute
perspective religieuse. Ces mêmes personnes affirment que lors de l’arrêt d’un
traitement vital, la cause de la mort n’est pas l’arrêt de traitement (qu’ils
assimilent à une omission plutôt qu’à une action), mais la nature qui suit son
cours.
En
revanche, ceux qui sont favorables à la légalisation de l’euthanasie tiennent à
dissocier autant que faire se peut les termes d’« euthanasie
volontaire » et « suicide », car le mot « suicide » a
toujours été péjoratif et chargé émotionnellement. Or pour le patient qui
souffre d’insupportables douleurs ou souffrances et qui demande la mort, ces
deux gestes sont identiques sur les plans éthique et légal.
Le
professeur de droit Glanville Williams affirmait d’ailleurs :
« Under the present law, voluntary euthanasia would […] be regarded as suicide in the patient who consents and murder in the doctor who administers ».
Source : Glanville Williams, The sanctity of life and the criminal law, New York, Knopf, 1957 à la p.318.
Par
conséquent, une euthanasie volontaire est un suicide pour le patient qui la
demande. Il est donc fallacieux de tenter de les dissocier. Pour qualifier le
geste de mettre fin à la vie d’une personne à sa demande expresse, ces mêmes
personnes usent d’un voile sémantique et d’euphémismes en préférant employer
des termes tels que l’« aide médicale à mourir » plutôt que les
termes d’« euthanasie volontaire ». Cette décision peut s’expliquer
par le fait que l’expression « aide médicale à mourir » véhicule, par
l’usage des termes « aide » et « médicale », un sens
positif et mélioratif du geste de donner la mort alors que le terme
« euthanasie », qui est selon certain entaché d’un sens péjoratif en
raison de ses liens étroits avec le programme d’euthanasie nazi (Aktion T4),
véhicule un sens négatif, péjoratif et dépréciatif de ce même geste (geste de
donner la mort).
En somme,
affubler la réalité d’un voile sémantique afin d’en masquer la véritable nature
nuit et obscurcit davantage le débat qu’il ne l’éclaire. À ce propos, George
Orwell affirmait :
« If thought corrupts language, LANGUAGE CAN ALSO CORRUPT THOUGHT ».
Source : George Orwell, « Politics and the English
language » in Sonia Orwell and Ian Angus, George Orwell : In front of
your nose, 1946-1950, vol.4, Boston, David R. Godine Publisher, 2000 à la
p.137.
Cette technique de manipulation (nommée "rebranding") est fréquemment utilisée pour "blanchir" un terme à connotation négative. Par exemple, après le procès de Nuremberg en 1945, le terme "eugenic" a été remplacé par les termes "social biology, family planning, genetic counselling (...)". L'auteur Michael Kohlman affirme :
Cette technique de manipulation (nommée "rebranding") est fréquemment utilisée pour "blanchir" un terme à connotation négative. Par exemple, après le procès de Nuremberg en 1945, le terme "eugenic" a été remplacé par les termes "social biology, family planning, genetic counselling (...)". L'auteur Michael Kohlman affirme :
"After the Nuremburg Trials revealed the racial bias of American-style eugenics, organized eugenics went underground or was rebranded as social biology, family planning, genetic counselling and so forth, to avoid the links with the euthanasia and sterilization campaigns of Nazi race-hygiene programs that culminated in the Holocaust".Source : Michael Kohlman, "The sociological roots of eugenics : demographic, ethnographic and educational solutions to the racial crises in progressive America", One World in Dialogue, Volume 3, Number 2, 2015 en ligne : http://ssc.teachers.ab.ca/SiteCollectionDocuments/OneWorldInDialogue/OneWorldinDialogue_2015Vol3No2/Kohlman%20Article_OneWorld%20inDialogue2015Vol3No2.pdf
Dans le même ordre d'idée, le terme "sociobiology" qui avait une connotation négative a été remplacé par le terme "evolutionary psychology". Le philosophe et bioéthicien Peter Singer affirme :
"Those parts of sociobiology that relate to human beings are now referred to as "evolutionary psychology." Although the application of sociobiology to human beings was fiercely opposed by some researchers, the development of evolutionary psychology has had a calmer reception. To that extent, the rebranding has been a resounding success, although one could also argue, less cynically, that the growing acceptance of evolutionary psychology is due to the merits of the studies it has produced, rather than the change of name".
Source : Peter Singer, The expanding circle : ethics, evolution and moral progress, Princeton, Princeton University Press, 2011 à la p.xii.
Or cette stratégie de manipulation, ce voile de propagande qui est jeté sur nos yeux est précisément le genre de voile qui devrait nous indigner, car comme l’affirme Noam Chomsky « la propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’État totalitaire ». Il explique :
Or cette stratégie de manipulation, ce voile de propagande qui est jeté sur nos yeux est précisément le genre de voile qui devrait nous indigner, car comme l’affirme Noam Chomsky « la propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’État totalitaire ». Il explique :
« Reinhold Niebuhr, chef de file des théologiens (...) soutenait que la faculté de raisonner est très peu répandue, que seul, un nombre restreint de personnes la possède. La plupart des gens se laissent dominer par leurs émotions et leurs impulsions. Ceux d’entre nous, expliquait-il, qui possèdent la faculté de raisonner doivent créer des "illusions nécessaires" et des "simplifications abusives, mais émotionnellement convaincantes" pour maintenir plus ou moins dans la bonne direction les simples d’esprit naïfs (...) Harold Lasswell (...) expliquait qu’il n’était pas souhaitable de succomber "au dogme démocratique selon lequel les gens sont les meilleurs juges quand il s’agit de leurs propres intérêts", car ils ne le sont pas. Nous sommes les meilleurs juges en matière de bien commun, estimait-il. Par conséquent, par simple souci de morale, il est indispensable de faire en sorte que les gens n’aient aucune possibilité d’agir en fonction de leur appréhension fausse des choses. Dans ce qu’on qualifie de nos jours d’État totalitaire ou d’État policier, c’est une tâche facile. Il suffit de brandir une matraque au-dessus de leurs têtes et de leur en asséner un bon coup s’ils s’écartent du droit chemin. Cependant, à mesure qu’une société devient plus libre et se démocratise, on est forcé d’abandonner cette option. Il faut donc recourir aux techniques de propagande. La logique est très simple. La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’État totalitaire ».
Source : Noam Chomsky et Robert W. McChesney, Propagande,
médias et démocratie, trad. par Liria Arcal, Montréal, Les Éditions Écosociété,
2000 aux pp.26-28).
Le 28
mars 2013, Danielle Blondeau, professeure à la Faculté des sciences infirmières
à l'Université Laval, affirme dans sa conférence intitulée « L'aide médicale à
mourir : une forme d'euthanasie ? » :
« J'ai relevé une citation de George Orwell qui dit que « si la pensée corrompt le langage, le langage aussi corrompra la pensée ». Pis ca je le fais pour me faire plaisir parce que je trouve pourquoi dire "aide médicale à mourir"? Pourquoi pas dire "euthanasie" ? Parce que les lois qui décriminalisent l'assistance au suicide et l'euthanasie utilisent le terme "d'euthanasie". Puis je me dis pourquoi on dit "aide médicale à mourir"? Est-ce que c'est comme une façon de passer plus librement je ne sais pas. Mais je sais qu'il y a sûrement des intentions derrière le choix du langage ».
Source : Danielle Blondeau, « L'aide médicale à mourir :
une forme d'euthanasie ? » (28 mars 2013)(Institut d'éthique appliquée (IDÉA) de
l'Université Laval) en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=01EjKZeFcHQ
Le
juriste Wesley J. Smith affirme également :
"Sophistry, redefinition of terms, blurring vital distinctions, postmodern deconstruction of words–such are the weapons wielded by assisted suicide ideologues as they work unceasingly to undermine Hippocratic medical values and promote suicide as a “medical treatment.”Here in California, the assisted suicide pushing attorney, Kathryn Tucker, has filed a lawsuit seeking a declaration that assisted suicide isn’t assisted suicide when a terminally ill persons kill themselves with an overdose of drugs provided by a doctor. From the complaint:
"21. California’s Assisted Suicide Statute provides that “[e]very person who deliberately aids, or advises, or encourages another to commit suicide, is guilty of a felony.” This statute does not reference physicians providing aid in dying to terminally ill, mentally competent persons.22. “Aid in dying” is a recognized term of art for the medical practice of providing a mentally competent, terminally ill patient with a prescription for medication that the patient may choose to ingest in order to bring about a peaceful death if the patient finds his dying process unbearable. It is recognized that what is causing the death of a patient choosing aid in dying is the underlying terminal illness".
This is utter nonsense; Dadaism as a legal theory.The case should be laughed out of court. But I can’t predict judicial hilarity: The case was filed in San Francisco, and not by accident. Anything can happen within that city’s limits.This redefinitional thrust was rejected out of hand in Connecticut a few years ago. But it succeeded at the trial court level in New Mexico (now on appeal), and so, I can’t say that California won’t legalize assisted suicide by simply calling it something else.
I can say that if redefinitional legalization happens, the law is not only an ass but a profoundly corrupt ass. If courts can legalize an act that a constitutional statute clearly and unequivocally bans through blatant word prestidigitation, we are no longer free.
Or to put it another way: You can paste wings on a dung beetle and call it a butterfly, but it is still a dung beetle with wings pasted on. However, if courts call the modified insect a butterfly, our system of ordered liberty is over".
Source : Wesley J. Smith, "Human exceptionalism :
"aid in dying" IS assisted suicide" (February 11, 2015), online
: http://www.nationalreview.com/human-exceptionalism/398408/aid-dying-assisted-suicide-wesley-j-smith
La directrice exécutive Kathryn Tucker du
"Disability Rights Legal Center" et le directeur exécutif David Leven du "End of Life Choices New York" affirment :
"Aid in Dying Language MattersWords matter. Aid in dying is the term now widely accepted in law and medicine to describe the practice of a physician prescribing medication to a terminally ill, mentally competent patient who may choose to ingest it to end suffering they find unbearable, and achieve a peaceful death. The American Public Health Association and the American Medical Women’s Association have accepted this term.It is inappropriate and inaccurate to use the value laden, pejorative terms “assisted suicide” or “physician assisted suicide” to describe aid in dying. Opponents of the practice use this biased terminology to equate aid in dying with criminal acts, and imply a social stigma.Those who choose aid in dying do not want to die, and they are not suicidal. They want to live, but will soon be dead from terminal illnesses. What is causing their deaths is their disease. Dying patients reject the terms “assisted suicide” and “suicide” as insulting and derogatory. In states where aid in dying is permitted by statute, Oregon, Washington and Vermont, these terms are specifically rejected, and it is explicitly recognized that actions comporting with the laws do not constitute “suicide” or “assisted suicide.” Similarly, in Montana and New Mexico, which permit the practice by court decision, the courts have recognized a right to “aid in dying,” not “assisted suicide”.Medical, health policy and mental health professionals recognize that the terms "suicide" and "assisted suicide" are inaccurate, biased and pejorative in this context. Thus, mainstream relevant and respected organizations have rejected the term “assisted suicide.” These include the American Public Health Association, American Medical Women’s Association, American Academy of Hospice and Palliative Medicine, the American College of Legal Medicine and the American Medical Students Association. They have variously stated that “suicide” terminology is “emotionally charged,” “inaccurate and inappropriate,” and “unfairly colors the issue.”Aid in dying is the accepted accurate and value neutral term. It should be used in all communications by the media and others, in media stories and in headlines, on the issue to avoid what might appear to be media bias".
Source : Kathryn Tucker and David Leven, "Aid
in Dying Language Matters", en ligne : http://endoflifechoicesny.org/wp-content/uploads/2015/02/LanguageMatters.pdf
Le 27
septembre 2013, Pierre Pelchat affirme dans un article du journal Le
Soleil :
"Le tiers des personnes interrogées interprète l’aide médicale à mourir comme étant la demande par le patient d’une injection entraînant la mort. Trois personnes sur 10 croient plutôt qu’il s’agit de soulager des symptômes par les soins palliatifs. Le troisième groupe, soit près de 40 % des sondés, associe l’aide médicale à mourir « à l’interruption de l’acharnement thérapeutique ou au suicide assisté ».« Cette forte dispersion des réponses démontre l’ambiguïté qui entoure l’expression "aide médicale à mourir" », selon la firme de sondage".
Source : Pierre Pelchat, "Aide médicale à
mourir : les Québécois confus" (27 septembre 2013) Le Soleil, en
ligne : http://www.lapresse.ca/le-soleil/ac...
J’invite
également le lecteur à lire les articles suivants :
« Lettres
- L’euthanasie et les mots plus doux à l’oreille » (26 mars 2012) dans le
journal Le Devoir : http://www.ledevoir.com/societe/act...
« Euthanasie :
un vent anti-démocratique » (26 mars 2012) dans le journal Le
Soleil : http://www.cyberpresse.ca/le-soleil...
Margaret Somerville de
l’Université McGill intitulé « Quebec is trying to legalize euthanasia by
calling it something else. It’s still wrong » : http://www.theglobeandmail.com/comm...
Eric Folot
Avocat et bioéthicien
NB : Les opinions émises dans ce blog sont
personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon employeur.
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