vendredi 17 mai 2019

Commentaires (version finale) sur le recours aux dispositions de dérogation dans le projet de loi no 21, Loi sur la laïcité de l’État. Par Eric Folot, avocat




« The bulk of the law, that part which defines and implements social, economic and foreign policy, cannot be neutral. It must state, in its greatest part, the majority's view of the common good. The institution of rights is therefore crucial, because it represents the majority's promise to the minorities that their dignity and equality will be respected. When the divisions among the groups are most violent, then this gesture, if law is to work, must be most sincere [...] is the one feature that distinguishes law from ordered brutality. If the Government does not take rights seriously, then it does not take law seriously either ». (Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press 1978 à la p.205)

Je ne souhaite pas me prononcer pour ou contre le projet de loi 21 (ci-après PL21), mais seulement avancer certains arguments contre l'usage des dispositions de dérogations.

Droit interne

Le PL 21 mentionne :

« CONSIDÉRANT qu’en vertu du principe de la souveraineté parlementaire, il revient au Parlement du Québec de déterminer selon quels principes et de quelle manière les rapports entre l’État et les religions doivent être organisés au Québec ».

« 29. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte à la Loi favorisant la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les
demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) ».

« 30. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du
recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982) ».

Or l'enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après Charte canadienne) dans la Constitution formelle du Canada (« la loi suprême du Canada » en vertu de son article 52) a « fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle ».

Source : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.72.

En d'autres termes, « la Constitution apporte des limites aux pouvoirs de légiférer du Parlement et des législatures provinciales ». Ce ne sont « pas les tribunaux qui imposent des limites au législateur, mais bien la Constitution, que les tribunaux doivent interpréter ». Le Parlement du Québec n'a donc pas tous les pouvoirs puisqu'il existe des « limites constitutionnelles ». Nous vivons donc dans une « démocratie constitutionnelle ». LA RÈGLE est donc que « les citoyens doivent avoir le droit de contester les lois qui outrepassent à leur avis les pouvoirs d’une législature.  Lorsqu’un tel recours est dûment exercé, les tribunaux sont constitutionnellement tenus de trancher ».

Sources : Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48 (CanLII) au para.58 ; Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.56 ; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381 au para.105 ; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.62.
 
Dans le PL 21, le gouvernement a recours aux dispositions de dérogation prévues aux articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après Charte québécoise) afin de soustraire les dispositions de ce projet de loi à un examen par les tribunaux dans le but de laisser « le dernier mot au législateur et non aux tribunaux ».

Source : Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.30, j. Iacobucci.

L'article 33 a été introduit dans la Charte canadienne par l'entente fédérale-provincial du 5 novembre 1981 afin d'obtenir le consentement des provinces (qui, avant l'introduction de cet article, étaient opposées à la Charte canadienne en raison de la limite qu’elle imposait à leur souveraineté parlementaire). Lorsqu’il est utilisé de manière préventive, comme le fait le PL 21, cet article rompt « le dialogue entre les différents organes du gouvernement » en permettant à une législature, pour une loi spécifique et pour un maximum de 5 ans, de faire passer le système de suprématie constitutionnelle à une suprématie parlementaire en supprimant le droit des citoyens de contester devant les tribunaux cette loi qui contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux. Donc cet article 33 est une disposition D'EXCEPTION, comme en témoigne d’ailleurs le paragraphe 3 de cet article qui mentionne que cette dérogation n’est valable que pour cinq ans après son entrée en vigueur.

Roy Romanow, l’honorable Jean Chrétien et Roy McMurtry, les trois personnes qui ont négocié l’ajout de l’article 33 dans la Charte canadienne, sont également d’avis qu’il s’agit d’une disposition d’exception, car l’intention qui a présidée à l’introduction de cet article dans la Charte canadienne était que cet article ne devait être utilisé que dans des situations exceptionnelles et seulement en dernier recours :

« The clause was designed to be invoked by legislatures in exceptional situations, and only as a last resort after careful consideration. It was not designed to be used by governments as a convenience or as a means to circumvent proper process.  That was clear at the time, and it has been clear ever since »

Source : Macleans, « Chretien, Romanow and McMurtry attack Ford’s use of the notwithstanding clause » (sept 14, 2018) Macleans, en ligne : https://www.macleans.ca/politics/ottawa/the-results-of-the-next-federal-election-if-electoral-reform-had-happened/

En effet, l’honorable Jean Chrétien affirmait le 20 novembre 1981 que l’article 33 de la Charte canadienne est une « soupape de sécurité » qui ne sera probablement utilisée que très rarement et que dans des circonstances non controversées :

« What the Premiers and the Prime Minister agreed to is a safety valve which is unlikely ever to be used except in non-controversial circumstances by Parliament or legislatures to override certain sections of the charter. The purpose of an override clause is to provide the flexibility that is required to ensure that legislatures rather than judges have the final say on important matters of public policy ».

Sources : Canada, House of Commons Debates, “Resolution Respecting Constitution Act”, 32nd Parl, 1st Sess (20 November 1981), en ligne : https://primarydocuments.ca/house-of-commons-debates-resolution-respecting-constitution-act-6/ . Voir aussi : David Johansen, Philip Rosen, « the notwithstanding clause of the charter » (september 1997) BP-194E, en ligne : http://publications.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/bp194-e.htm

L’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache, affirmait que  l’article 33 de la Charte canadienne avait été envisagé, par le législateur, comme un instrument pour corriger des erreurs judiciaires dans les rares cas où une décision judiciaire serait clairement contraire à l’intérêt public. De plus, selon le juge Bastarache, le législateur était d’avis que cet instrument ne devrait être utilisé qu’avec un large appui de l’opinion publique et que dans des cas non controversés :

« All agreed that section 33 was intended to give the legislature the so-called “last word.” The controversy centred on the extent to which the provision would be used. It appeared that section 33 was intended as a tool to correct “judicial errors.”  This is obvious from the federal Minister of Justice’s description of section 33 as a “safety valve”  and from the following statement made by Chief Justice Roy McMurtry, then Attorney General of Ontario:

The fact is that the clause does provide a form of balancing mechanism between the legislators and the courts in the unlikely event of a decision of the courts that is clearly contrary to the public interest.

Further, provinces contemplated the use of the Notwithstanding clause only in the face of strong public support. As a result, many framers argued that the notwithstanding clause would be rarely used and that it would only be applied to noncontroversial issues.The provincial legislatures felt that it was essential to prevent a possible misuse of this new constitutional document by the courts ».

Source : Michel Bastarache, « Section 33 and the relationship between legislatures and courts » (2005) 14 :3 Forum Constitutionnel à la p.2, en ligne : https://www.academia.edu/25839322/WHY_OVERRIDE_CANADAS_CHARTER_OF_RIGHTS_Is_the_Notwithstanding_clause_a_sword_or_paper_tiger_Articles_by_JUSTICE_BASTARACHE_Paul_C._Weiler_author_of_the_idea_and_Thomas_Axworthy

Le professeur de droit à l’Université Harvard, Paul C. Weiler, est également d’avis que l’article 33 de la Charte canadienne ne devrait être utilisé que dans des cas exceptionnels pour corriger des erreurs judiciaires :

« The premise of the Charter is that the optimal arrangement for Canada is a new partnership between court and legislature. Under this approach judges will be on the front lines; they will possess both the responsibility and the legal clout necessary to tackle "rights" issues as they regularly arise. At the same time, however, the Charter reserves for the legislature a final say to be used sparingly in the exceptional case where the judiciary has gone awry ».

Source : Paul C. Weiler, « Rights and judges in a democracy : a new canadian version » (1984) 18 :1 University of Michigan Journal of Law Reform  51 à la p.84, en ligne : https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1939&context=mjlr

La professeure de droit de l’Université de Toronto, Lorraine Weinrib, est du même avis :

« The idea was to provide a safety valve in exceptional circumstances, not an easily accessible trap door out of the Charter’s strictures. The strong and growing convention against using the override is thus faithful to its original purposes ».

Source : Lorraine Weinrib, « The Charter Critics : strangers in a strange land » in The Judiciary as Third Branch of Government: Manifestations and Challenges to Legitimacy (Canadian Institute for the Administration of Justice: Les Editions Themis, 1999) à la p.249. Écoutez également ce vidéo daté du 20 septembre 2018 et intitulé « Above the law », à partir de 34 minutes 55 secondes, où Mme Weinrib explique l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’article 33 de la Charte canadienne : https://www.youtube.com/watch?v=RZ-Qngn8aYM . Écoutez également à 1h 20min. 30sec, où Mme Weinrib mentionne que lors de l’adoption de la Charte canadienne en 1982, le gouvernement du Québec était enragé (pour des raisons politiques évidentes), mais pas la population québécoise.

Pour ma part, j’affirme que l'article 33 de la Charte canadienne est une disposition D'EXCEPTION, comme l’est indiscutablement la limitation aux droits prévue à l’article 1 de la Charte canadienne (voir R. c. Oakes (1986) au para.66 et Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E. (2004) au para.102), car elle est antinomique à l’objet immuable ([1985] 1 RCS 295 aux paras.89- ; [1988] 2 R.C.S. 680 aux paras.42-43) de la Charte canadienne, à savoir « "la protection constante des droits et libertés individuels" » (Hunter et autres c. Southam (1984) et R. c. Big M Drug Mart Ltd (1985) au para.121 ; R. c. Tran, [1994] 2 RCS 951). En effet, l’article 1 de la Charte canadienne mentionne que la Charte « garantit les droits et libertés qui y sont énoncés ». Dans un même ordre d’idée, l’article 2(3)(a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après Pacte international) mentionne que « les États parties au présent Pacte s'engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile ». De même, l’article 4(1) du Pacte international mentionne clairement qu’un État ne peut déroger aux droits que « dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation ». L’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ci-après Déclaration universelle) est également pertinent et mentionne :

« 28. Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».

Or il est généralement reconnu que la Déclaration universelle jouit du statut de coutume en droit international et qu’elle constitue donc une source du droit international (art.38(1)(b) du Statut de la Cour internationale de justice).

Sources : Commission des droits de la personne et Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, 1991 CanLII 1358 (QC TDP) ; John P. Humphrey, « The international bill of rights : scope and implementation » (1976) 17 Wm. & Mary L. Rev. 527 à la p.529 ; Louis Henkin, « Human Rights : Ideology and Aspirations, Reality and Prospect » in Samantha Power and Graham Allison, Realizing Human Rights : Moving from Inspiration to Impact , Basingstoke, Palgrave Macmilllan, 2006 à la p.12 ; Daniel Turp, « Le recours au droit international aux fins de l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés : un bilan jurisprudentiel » (1984) 18 R.J.T. 353 aux pp.374-375 ; Johannes Van Aggelen, « The preamble of the United Nations declaration of human rights » (1999-2000) 28 Denv. J. Int'l L. & Pol'y 129 aux pp.131-132.

Selon la Cour suprême du Canada, « la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui‑ci ne déclare son droit interne incompatible ».

Source : R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 aux paras.39 et 46.

La Déclaration universelle, à titre de coutume internationale et en tant qu’elle constitue donc le droit du Canada, peut donc servir à interpréter la Charte canadienne. Les articles 1 de la Charte canadienne, 2(3)(a) et 4(1) du Pacte international et 28 de la Déclaration universelle démontrent, à mon avis, que l’article 33 de la Charte canadienne doit être considéré comme une disposition D'EXCEPTION.

Source : Au soutien de mon affirmation, voir : Alliance des Professeurs de Montreal v. A.-G. Quebec, 1985 CanLII 3058 (QC CA) au para.18.

La Cour suprême du Canda a reconnu que l’objet de la Charte québécoise est le même que celui de la Charte canadienne à savoir « la protection du droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la discrimination ».

Sources : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 RCS 665 au para.34 (voir aussi para.46). Dans le préambule de la Charte québécoise, il est d’ailleurs mentionné : « Considérant qu’il y a lieu d’affirmer solennellement dans une Charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation ».

En conséquence, une dérogation aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise est donc antinomique à l’objet de la Charte québécoise.

De plus, comme le reconnaissait la Cour suprême du Canada, la Charte québécoise représente « l’expression des valeurs les plus fondamentales de la société québécoise ».

Source : De Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 RCS 64 au para.53.

En conséquence, une dérogation aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise, en plus d’être antinomique à l’objet de la Charte québécoise, constitue une dérogation aux « valeurs les plus fondamentales de la société québécoise ». La disposition de dérogation prévue à l’article 52 de la Charte québécoise est donc une disposition d'EXCEPTION.

De plus, l’article 33 de la Charte canadienne renverse la règle selon laquelle  l'enchâssement de la Charte canadienne dans la constitution a « fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle » afin de permettre aux citoyens de contester une loi qui contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux. En effet, l'application de cet article permet de redonner à une législature (provinciale ou fédérale) une pleine souveraineté parlementaire sans limites (sauf partage de compétence provincial-fédéral) pour adopter une loi. Cet article renverse donc la règle susmentionnée en supprimant le droit des citoyens de contester une loi qui contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux.

On pourrait bien sûr me rétorquer que l'article 33 de la Charte canadienne n'est pas une disposition d'exception :

- puisqu'il se trouve dans la Charte canadienne et donc dans la constitution du Canada ;

- que son application n'entraîne pas un reversement de la règle susmentionnée. En effet, bien qu’elle supprime, pendant un maximum de 5 ans, le droit des citoyens de contester une loi qui contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux, son application est conforme à la constitution et au principe de suprématie constitutionnelle.

Or ce serait mal comprendre ou faire fi des raisons qui ont justifié l'enchâssement de la Charte canadienne dans la constitution formelle du Canada. Comme le reconnaît la Cour suprême du Canada, la Charte canadienne « n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte » et doit donc « être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés ».

Source : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.117.

L’honorable juge Dickson de la Cour suprême du Canada était d’avis « que l’essor des droits de la personne sur le plan international est un facteur important qui a contribué à l’adoption » de la Charte canadienne. Le droit international est donc un facteur important qui a contribué à l’adoption de la Charte canadienne et qu’on doit tenir compte dans l’interprétation de cette Charte. Or en droit international, la dérogation est une mesure exceptionnelle en vertu de l’article 4(1) du Pacte international. De plus, le juge Dickson affirme que la Charte canadienne « est l’expression de la volonté commune des gouvernements fédéral et provinciaux de limiter leur souveraineté législative de manière à ne pas violer certains droits et certaines libertés ». La Cour suprême du Canada en conclut, sur la base des propos du juge Dickson, que l’objet principal de la Charte canadienne est donc « de veiller à ce que toute action gouvernementale soit conforme à certains droits et libertés individuels » :

« L’ancien juge en chef Dickson estime que l’essor des droits de la personne sur le plan international est un facteur important qui a contribué à l’adoption, au Canada, d’un document garantissant des droits et libertés.  Il fait remarquer:

[traduction] La Déclaration universelle des droits de l’homme témoigne de l’horreur inspirée dans le monde entier par les violations des droits de la personne qui ont été commises dans de nombreux pays au cours de la Deuxième Guerre mondiale. La Déclaration universelle représentait cependant plus qu’une simple expression d’horreur.  Elle soulignait également de façon éclatante la volonté, issue de la Deuxième Guerre mondiale et des événements qui y ont conduit, de marquer le début d’une ère nouvelle pour l’humanité, une ère empreinte d’un profond respect des droits de la personne.
                                                   . .
La Charte est l’expression de la volonté commune des gouvernements fédéral et provinciaux de limiter leur souveraineté législative de manière à ne pas violer certains droits et certaines libertés.  [Nous soulignons.]

Ces déclarations confirment ce qui peut paraître évident à certains, c’est‑à‑dire que l’objet principal de la Charte est de veiller à ce que toute action gouvernementale soit conforme à certains droits et libertés individuels dont la protection est essentielle au maintien d’une société démocratique et fonctionnelle dans laquelle la dignité fondamentale de tous les individus est reconnue ».

Sources : Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au para.57. Voir aussi : Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 aux paras.25 et 27, j. Iacobucci.

On pourrait me rétorquer qu'en ayant recours dans le PL21 à l'article 33 de la Charte canadienne, le Parlement du Québec ne nie pas les droits fondamentaux des citoyens, car il a préalablement procédé lui-même (à la place des tribunaux) à l'équilibrage des droits en jeu et à la justification de l'atteinte des droits par l'objectif poursuivi (limites raisonnables). Or il y a deux problèmes avec cet argument :

  • En tout respect pour les membres de l'Assemblée nationale, je crois que les juges de la Cour supérieur et des tribunaux d'appels ont une certaine expertise en la matière (expertise en droit) que ne possèdent pas tous les membres de l'Assemblée nationale. En effet, comme la Cour suprême du Canada l'a reconnu, « la compatibilité d’une disposition      avec la Constitution est une question de droit ». En d'autres termes, la violation ou non d'un droit fondamental n'est pas une question de fait, mais de droit.
Source : Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 RCS 504 au para.28. À ce sujet, le professeur émérite de droit public, Patrice Garant, affirme : « lorsqu’il s’agit d’apprécier si les restrictions imposées à une liberté fondamentale se justifient au regard d’un principe constitutionnel (…) alors les juges ont manifestement une expertise supérieure aux parlementaires » : Patrice Garant, Mémoire déposé dans le cadre des consultations particulières du PL 21 (010M).

  • Malgré l'existence de consultations particulières (et non générales…) sur le PL21, il n'existe pas de garanties d'équité procédurale comme il en existe devant les tribunaux (par exemple : le droit pour toutes les parties intéressées d’être entendu et surtout le fait que les juges doivent être indépendants et impartiaux). Si les membres de l’Assemblée nationale procèdent à l’équilibrage en question, ils ne sont pas impartiaux, mais partiaux, c’est-à-dire à la fois « juge et partie » en contravention à la règle « nemo judex in sua causa » selon laquelle « nul ne doit être juge dans sa propre cause ». En effet, l’Assemblée nationale aurait un parti pris et donc un préjugé favorable à l’égard de son propre projet de loi et un préjugé défavorable pour les droits fondamentaux qui pourraient venir limiter son étendue. À ce sujet, la Cour suprême du Canada affirmait :

« Il n’y a aucun doute qu’en général le Parlement et les législatures prennent des mesures qui pour eux, qui représentent l’opinion de la majorité, constituent des limites raisonnables dont la justification a été démontrée à leur satisfaction.  Le niveau de déférence que le juge Marshall propose à l’égard du choix du législateur aurait pour effet de circonscrire énormément et de rendre superflu le second regard indépendant que les tribunaux doivent jeter en vertu de l’article premier de la Charte.  Une telle déférence à l’égard de l’opinion de la majorité accorderait peu de protection aux minorités (…) Si les « organes politiques » devaient être l’« arbitre qui tranche de manière irrévocable » la question de la conformité de leurs « stratégies » avec la Charte, il semblerait alors que l’adoption de la Charte n’accorde aucune protection véritable aux titulaires des droits (…) chaque fois qu’il existe des limites à l’exercice licite du pouvoir de l’État, ces limites doivent être soumises à un arbitre.  Depuis la Confédération, les tribunaux canadiens jouent ce rôle relativement au partage des pouvoirs entre le Parlement et les législatures provinciales.  La ligne de démarcation entre le droit ou la liberté garantis à une personne et le pouvoir de l’État doit aussi être soumise à un arbitre.  Les rédacteurs de la Charte ont désigné les tribunaux comme arbitre ».

Source : Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381 aux paras.103, 111 et 116.

Cela étant dit, je crois tout de même que le recours à l'article 33 de la Charte canadienne, comme disposition d'EXCEPTION, peut cependant se justifier, et être nécessaire et même un devoir, dans certaines circonstances. En effet, la Cour suprême du Canada peut commettre des erreurs et n’est donc pas plus infaillible que le législateur. Comme le disait l’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis et procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg, Robert H. Jackson, à propos des juges de la Cour suprême des États-Unis : « we are not final because we are infallible, but we are infallible only because we are final ».

Source : Brown v. Allen, 344 U.S. 443 (1953).

Conformément au principe qu’il doit exister un dialogue entre les différents organes du gouvernement, les décisions de la Cour suprême du Canada ne doivent donc pas être irrémédiablement finales. Ce dialogue entre les tribunaux et le législateur est important, car comme l’affirmait le juge Robert H. Jackson : « each has the human tendency to magnify its own jurisdiction, to practice what we call « empire building » (…) the Court must respect the limitations of its own powers because judicial usurpation is to me no more justifiable and no more promising of permanent good to the country than any other kind ».

Source : Robert H. Jackson, The Supreme Court in the American System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 aux pp. 50 et 61.

À ce sujet, la Cour suprême du Canada affirme également qu’il doit exister un processus de reddition de compte entre les tribunaux et le législateur :

« Il est tout aussi important, pour les tribunaux, de respecter eux‑mêmes les fonctions du pouvoir législatif et de l’exécutif que de veiller au respect, par ces pouvoirs, de leur rôle respectif et de celui des tribunaux ».

« La révision judiciaire et ce dialogue sont précieux, selon moi, parce qu’ils obligent en quelque sorte les divers organes du gouvernement à se rendre mutuellement des comptes.  Les tribunaux examinent le travail du législateur, et le législateur réagit aux décisions des tribunaux en adoptant d’autres textes de loi (ou même en se prévalant de l’art. 33 de la Charte pour les soustraire à la Charte).  Ce dialogue et ce processus de reddition de compte entre organes du gouvernement, loin de nuire au processus démocratique, l’enrichissent ».

Sources : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 RCS 3 au para.35 ; Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.32, j. Iacobucci.

Pour reprendre les termes employés par les auteures, Louise Arbour et Fannie Lafontaine, l’objectif est donc de prévenir autant « la tyrannie de la majorité » (par le législateur) que « la tyrannie du judiciaire » (par les tribunaux). Ou comme le disait James Madison, l’un des pères fondateurs des États-Unis : « Ambition must be made to counteract ambition ».

Sources : Louise Arbour et Fannie Lafontaine, « Beyond self-congratulation : the charter at 25 in an international perspective » (2007) 45 :2 Osgoode Hall Law Journal 240 à la p.245. James Madison, « The Structure of the Government Must Furnish the Proper Checks and Balances Between the Different Departments From the New York Packet. Friday, February 8, 1788 », The Federalist Papers no.51, en ligne : http://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed51.asp

Le législateur est donc en droit de réagir à certaines décisions abusives ou erronées de la Cour suprême du Canada en se prévalant notamment de l’article 33 de la Charte canadienne. En effet, la Cour suprême du Canada a parfois commis des erreurs graves.

Pensons, par exemple, à l’arrêt Edwards v. Canada (Attorney General) (1928), rendu bien avant l’adoption de la Charte canadienne, dans lequel la Cour suprême du Canada avait déclaré que les femmes ne sont pas des « personnes » éligibles aux fins d’être nommées au Sénat du Canada.

Source : Edwards v. Canada (Attorney General), [1928] S.C.R. 276.Voir aussi : Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 RCS 698 au para.22.

De même, pensons également au traitement réservé en temps de guerre aux Canadiens d’origine japonaise, dont la validité a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Reference to the Validity of Orders in Council in relation to Persons of Japanese Race, [1946] S.C.R. 248.

Source : Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 RCS 248 au para.114.

Plus récemment, après l’adoption de la Charte canadienne, on peut penser aux arrêts très controversés suivants :

-               l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 portant sur l’aide au suicide. À ce sujet, l’ancien juge de la Cour d’appel du Québec, Me Jean-Louis Baudouin, affirmait : « On peut s’interroger sur la légitimité non pas formelle, mais sociale d’une décision partagée 5-4 du plus haut tribunal du pays sur, par exemple, l’aide au suicide » (Jean-Louis Baudouin, « Common law, droit civil : réflexion sur les outils du juge en bioéthique » (2006) 17 Journal international de bioéthique 95 à la p.99).

-               l’arrêt R. c. Sharpe, [2001] 1 RCS 45 sur la pornographie juvénile (2 exceptions ont été permises par la Cour).

-               l’arrêt Gosselin c . Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429 où la Cour s'est penchée sur la constitutionnalité du Règlement sur l'aide sociale de 1984 qui fixait le montant des prestations de base payables aux personnes de moins de 30 ans au tiers de celui des prestations de base versées aux 30 ans et plus.

-             l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 RCS 76 portant sur la constitutionnalité de la décision du législateur d’établir une zone à l’intérieur de laquelle les pères, mères et instituteurs peuvent, dans certaines circonstances, employer une force légère pour corriger un enfant sans s’exposer à des sanctions pénales.

-            l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle de santé risquant de nuire au système de santé publique.

Outre l'argument selon lequel la Cour suprême du Canada n’est pas infaillible, mais qu’elle peut faire des erreurs et l’argument historique à l’effet que l’article 33 a été introduit dans la Charte canadienne afin que les provinces puissent, au besoin, récupérer leur pleine souveraineté, un des arguments au soutien du recours à cet article est la question de la légitimité démocratique : les députés sont élus par la population alors que les juges ne le sont pas. Pour reprendre les termes du prof. Peter W. Hogg : « why should the views of non-elected judges prevail over the views of the elected legislators ? » Puisque cet article vise à redonner aux législatures leur pleine souveraineté parlementaire au nom de la légitimité démocratique, l'utilisation de cet article ne devrait être envisagée que lorsque le gouvernement au pouvoir représente minimalement, dans les faits, la majorité de la population (votante et non-votante). Or aux élections de 2018, seulement 25% des citoyens ont donné leur voix à la CAQ (en tenant compte de ceux qui n'ont pas voté, qui représentent le tiers de la population). En effet, dans un article du Devoir du 3 octobre 2018, Annabelle Caillou affirme :

« Si l’on compile les résultats des circonscriptions remportées par la CAQ — en comptabilisant les Québécois inscrits sur les listes électorales n’ayant pas exercé leur devoir de citoyen —, seulement 24,9 % de l’ensemble des électeurs ont vraiment donné leur voix au parti ».

Source : Annabelle Caillou, « L’adhésion d’un quart des électeurs a suffi à la CAQ » (3 octobre 2018) Le Devoir, en ligne : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/538222/la-caq-a-convaincu-les-electeurs-avec-moderation

Donc la CAQ ne peut pas logiquement se prévaloir de l'argument de la légitimité démocratique (à savoir qu'il représente les aspirations de la majorité de la population) afin de recourir aux articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise. En effet, il ne reflète pas les aspirations de la majorité de la population : 75% des citoyens n'ont pas donné leur voix à la CAQ.

De plus, selon Nikolas Barry-Shaw, « l’opposition à la loi 21 est également plus large et substantielle qu’on ne le rapporte souvent — plus de 40% selon plusieurs sondages et même 59% dans l’un d’entre eux ».

Source : Nikolas Barry-Shaw, « Interdiction des signes religieux : quel consensus? » (21 mai 2019) Institut de recherche et d’informations socio-économiques, en ligne : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/interdiction-des-signes-religieux-quel-consensus

Pour terminer, même si la CAQ représente les aspirations de la majorité de la population, il y a lieu de rappeler que « l'idée de démocratie transcende la règle de la majorité » (Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.33, j. Iacobucci) et qu'il n'est donc pas légitime pour une majorité de nier, sur la seule base de la règle de la majorité (ou du principe démocratique), des droits fondamentaux en ayant recours aux dispositions de dérogation. En effet, l’objet de la Charte canadienne, dans lequel s’inscrit l’article 33, est que « la société canadienne doit être libre et démocratique » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64) et pas uniquement démocratique. D’ailleurs, l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache, est d’avis que la Charte canadienne est « l’expression ultime et profondément canadienne de la primauté accordée à la liberté et à la dignité humaine ».

Source : Michel Bastarache, « La Charte canadienne des droits et libertés, reflet d’un phénomène mondial ? » (2007) 48 :4 Les Cahiers de Droit 735 à la p.736, en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2007-v48-n4-cd3850/043952ar.pdf

En d’autres termes, pour qu’un système politique ait une légitimité, il doit y avoir une interaction entre « la primauté du droit » et le « principe démocratique ». Sur la question de légitimité d’un système politique, la Cour suprême du Canada affirme :

« Un système politique doit aussi avoir une légitimité, ce qui exige, dans notre culture politique, une interaction de la primauté du droit et du principe démocratique.  Le système doit pouvoir refléter les aspirations de la population.  Il y a plus encore.  La légitimité de nos lois repose aussi sur un appel aux valeurs morales dont beaucoup sont enchâssées dans notre structure constitutionnelle. Ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la seule «volonté souveraine» ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion d'autres valeurs constitutionnelles ».

Source : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.67.

L’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin, ajoute :

« La distinction entre « gouverner à coup de lois  » (« rule by law ») — situation qui existe dans certains pays en voie de développement — et « primauté du droit » (« rule of law ») — principe auquel adhèrent les démocraties développées — décrit succinctement la différence entre un simple système de règles et un système de droit digne de ce nom, fondé sur certaines valeurs minimales (…) La théorie démocratique moderne, telle qu’épousée par la plupart des démocraties occidentales, conjugue deux doctrines intrinsèquement contradictoires. Suivant la première, souvent attribuée à Dicey, il appartient au Parlement, et à lui seul, d’établir le droit et, par incidence, les normes fondamentales sur lesquelles il repose. La seconde consiste dans l’idée — très largement acceptée depuis la Seconde Guerre mondiale dans les démocraties modernes développées — que les systèmes de droit doivent respecter certaines normes fondamentales ».

Source : Beverly McLachlin, « Les principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans ce domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre 2005, en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2005-12-01-fra.aspx

Ainsi, les sociétés, comme la nôtre, « où prime le droit se caractérisent par une certaine obligation de justification ».

Source : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 RCS 77 au para.130. Beverley McLachlin, « The Roles of Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of Law » (1998-1999), 12 C.J.A.L.P. 171.

Le philosophe du droit, Ronald Dworkin, donne l’exemple suivant afin de démontrer que la règle de la majorité (le principe démocratique) ne suffit pas toujours à rendre une décision juste (légitime) :

« Majority decision is not always fair. I earlier gave this example: when a lifeboat is overcrowded and one passenger must be thrown over else all will die, it would not be fair to hold a vote so that the least popular among them would be drowned (…) The evident reasons why a majority vote would be unfair in the lifeboat case apply also to at least some political decisions. Just as the biases and personal dislikes of a majority should not count in deciding which passenger should be thrown overboard, so they are not relevant when a political community decides on the rights of an identified and disliked minority (…) Majority rule is not an intrinsically fair decision procedure, and there is nothing about politics that makes it intrinsically fair there. ».

Source : Ronald Dworkin, Justice for Hedgehogs, Cambridge, Harvard University Press, 2011 aux pp.387 et 392.

L’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis et procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg, Robert H. Jackson, expose le dilemme, pour tout législateur, de choisir entre une règle de la majorité sans limites qui laisse sans protection les individus d’une minorité et choisir une règle de la majorité limitée qui protège les minorités :

« Judicial power to nullify a law duly passed by the representative process is a restriction upon the power of the majority to govern the country. Unrestricted majority rule leaves the individual in the minority unprotected. This is the dilemma and you have to take your choice. The Constitution-makers made their choice in favor of a limited majority rule ».

Source : Robert H. Jackson, The Supreme Court in the American System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 à la p.79.

Au Canada, les législateurs fédéral et provinciaux ont également fait ce choix de limiter la règle de la majorité (leur souveraineté) afin de protéger les droits et libertés fondamentaux et les minorités. En effet, il y a eu une « volonté commune des gouvernements fédéral et provinciaux de limiter leur souveraineté législative de manière à ne pas violer certains droits et certaines libertés ».

Source : Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au para.57. Voir aussi : Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 aux paras.25 et 27, j. Iacobucci.

Le philosophe du droit, Ronald Dworkin, affirme que la garantie des droits fondamentaux est la promesse faite aux minorités par la majorité que leur dignité sera respectée :

« The bulk of the law, that part which defines and implements social, economic and foreign policy, cannot be neutral. It must state, in its greatest part, the majority's view of the common good. The institution of rights is therefore crucial, because it represents the majority's promise to the minorities that their dignity and equality will be respected. When the divisions among the groups are most violent, then this gesture, if law is to work, must be most sincere [...] is the one feature that distinguishes law from ordered brutality. If the Government does not take rights seriously, then it does nottake law seriously either ».

Source : Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press 1978 à la p.205.

La Cour suprême du Canada affirme aussi : « Les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société ».

Source : Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321 au para.18.

En conséquence, bien que dans l’état actuel du droit, l’article 33 de la Charte canadienne « établit des exigences de forme seulement » (Ford c. Québec (Procureur général) (1988) au para.33), les tribunaux devraient, selon moi afin de se conformer à l’article 4(1) du Pacte international, revoir les exigences (actuellement limitées « à des exigences de forme seulement ») que doit satisfaire un législateur qui souhaite recourir à l’article 33 de la Charte canadienne. En effet, le législateur devrait, à mon avis, avoir à fournir aux citoyens et aux tribunaux une « justification » pour déroger à un droit ou à une liberté fondamentale ainsi qu’un lien rationnel entre cette dérogation et l’objectif poursuivi par la loi. La « justification » ou l’objectif urgent, important et réel à cette dérogation pourrait reposer sur des valeurs constitutionnelles incluant par exemple les autres droits et libertés, les valeurs d’une société libre et démocratique « qui sont à l'origine des droits et libertés » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64) et les principes constitutionnels non écrits, dont le respect des minorités et le droit international. Évidemment, « les considérations budgétaires à elles seules ne peuvent pas être invoquées en tant qu’objectif urgent et réel » ([2003] 2 RCS 504 au para.109 ; [2004] 3 R.C.S. 381 aux paras.71-72). Le législateur ne pourrait pas non plus « se fonder sur un objet inconstitutionnel » ([1985] 1 RCS 295 aux paras.80, 85, 141 ; [1987] 1 R.C.S. 1045 au para.51). En revanche, les tribunaux devraient, dans leur analyse, accorder une grande déférence au législateur afin de respecter le principe de souveraineté parlementaire. Contrairement à l’article 1 de la Charte canadienne, le gouvernement n’aurait cependant pas, selon ce que je propose, à démontrer une atteinte minimale et une proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi. Il y aurait donc une différence claire en terme d’exigence entre le recours à l’article 33 (disposition de dérogation à un droit) et le recours à l’article 1 (disposition de limitation d’un droit) de la Charte canadienne.

Dans un texte collectif publié le 5 juin 2004 dans le Globe and Mail, les signataires, parmi lesquels on retrouve l’honorable Claire L'Heureux-Dubé (ancienne juge de la Cour suprême du Canada), affirmaient :

« 2. Would a Conservative government uphold the Charter's fundamental guarantees or override them?

Indeed, many Conservative policies view the Charter of Rights not as a fundamental guarantee for all Canadians, but rather as an obstacle to be circumvented in the drive to remake Canada's social fabric. You have regularly indicated a willingness to use the Charter's notwithstanding clause to override Charter rights and to put the state back into the bedrooms of the nation. Canadians respect and cherish the rights and values that the Charter guarantees. Extensive use of the override places rights squarely back where they were before the Charter was enacted: in the hands of a potentially hostile majority ».

Source : « Can we trust you, sir, to defend the Charter ? » (June 5, 2004) Globe and Mail, en ligne : https://www.theglobeandmail.com/opinion/can-we-trust-you-sir-to-defend-the-charter/article744080/

Pour terminer cette partie sur le droit interne, il est important de sensibiliser la population sur l’importance de protéger les minorités, car les tribunaux ne peuvent à eux seuls, sans un large appui de l’opinion publique, garantir la protection des minorités. En effet, l’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis et procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg, Robert H. Jackson, affirmait :

« I know of no modern instance in which any judiciary has saved a whole people from the great currents of intolerance, passion, usurpation, and tyranny which have threatened liberty and free institutions. The Dre Scott decision did not settle the question of the power to end slavery (…) No court can support a reactionary regime and no court can innovate or implement a new one. I doubt that any court, whatever its power, could have saved Louis XVI or Marie Antoinette. None could have avoided the French Revolution, none could have stopped its excesses, and none could have prevented its culmination in the dictatorship of Napoleon. In Germany a courageous court refused to convict those whom the Nazi government sought to make the scapegoats for the Reichstag fire, clandestinely set by the Nazis themselves, and other courts decreed both the Nazi and the Communist parties to be illegal under German law. Those judgments fell on deaf ears and became dead letters because the political forces at the time were against them.

It is not idle speculation to inquire which comes first, either in time or importance, an independent and enlightened judiciary or a free and tolerant society. Must we first maintain a system of free political government to assure a free judiciary, or can we rely on an aggressive, activist judiciary to guarantee free government ? While each undoubtedly is a support for the other, and the two are frequently found together, it is my belief that the attitude of a society and of its organized political forces, rather than its legal machinery, is the controlling force in the character of free institutions ».

« Judicial functions, as we have evolved them, can be discharged only in that kind of society which is willing to submit its conflicts to adjudication and to subordinate power to reason ».

Source : Robert H. Jackson, The Supreme Court in the American System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 aux pp.80-83.



Droit international

Le 19 mai 1976, le Canada a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après Pacte international) ainsi qu’à son protocole facultatif. Ce Pacte dégage non seulement un consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui-même engagé à respecter.

Source : Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 RCS 391 au para.71. Sur l’adhésion du Canada au Pacte international, voir : https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr

Ce Pacte international lie autant le Canada que les provinces, dont le Québec. En effet, l’article 50 de ce Pacte mentionne :

« Les dispositions du présent Pacte s'appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des Etats fédératifs ».

De plus, l’article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, à laquelle le Canada a adhéré le 14 octobre 1970, mentionne :

« À moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son territoire ».

Le 21 avril 1976, dans l’arrêté en conseil 1438-76, le Québec a ratifié ce Pacte international.

Source : Commission des droits de la personne et Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, 1991 CanLII 1358 (QC TDP).

L’adoption de la Charte canadienne découle de l’obligation imposée aux États en vertu de l’article 2 de ce Pacte international.

Les droits que ce Pacte international protège « énoncent un niveau minimal de protection dont il faut tenir compte dans l’interprétation » des Chartes. En d’autres termes, « il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne ».

Source : Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 3 RCS 157 aux paras.23-25. Voir aussi : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 au para.59 ; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 au para.23 ; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391 au para.70 et 79 ; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 au para.55.

L'article 4 du Pacte international mentionne :

"Article 4

1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 (…) »

L’article 18 du Pacte international mentionne :

« Article 18

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement (…) ».

En conséquence, ce n’est que dans un cas de danger public exceptionnel menaçant l'existence de la nation, qu’un État est en droit de déroger, dans une loi, aux droits contenus dans le Pacte international. De plus, cette dérogation ne doit pas entraîner une discrimination fondée uniquement, par exemple, sur la religion.

Le paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte international mentionne aussi qu’il est interdit pour un État de déroger aux articles 6, 7, 8 (para.1 et 2), 11, 15, 16 et 18 de ce Pacte. Or l’article 18 du Pacte international est la disposition garantissant le droit à la liberté de conscience et de religion, à savoir le même droit auquel le PL 21 entend déroger.

Dans son document intitulé « Observation générale no.29-État d’urgence (art.4) », le Comité des droits de l’homme de l’ONU précise l’application de l’article 4 et le droit d’un État de déroger à certains articles du Pacte international :

« Les mesures dérogeant aux dispositions du Pacte doivent avoir un caractère exceptionnel et provisoire. Avant qu’un État ne décide d’invoquer l’article 4, il faut que deux conditions essentielles soient réunies: la situation doit représenter un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation et l’État partie doit avoir proclamé officiellement un état d’urgence. Cette dernière condition est essentielle au maintien des principes de légalité et de primauté du droit à des moments où ils sont plus que jamais nécessaires (…)

Tout trouble ou toute catastrophe n’entre pas automatiquement dans la catégorie d’un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation, selon la définition du paragraphe 1 de l’article 4. Pendant un conflit armé, international ou non, les règles du droit international humanitaire deviennent applicables et contribuent, outre les dispositions de l’article 4 et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, à empêcher tout abus des pouvoirs exceptionnels par un État. Le Pacte stipule expressément que même pendant un conflit armé, des mesures dérogeant au Pacte ne peuvent être prises que si, et dans la mesure où, cette situation constitue une menace pour la vie de la nation. L’État partie qui envisage d’invoquer l’article 4 dans une situation autre qu’un conflit armé devrait peser soigneusement sa décision pour savoir si une telle mesure se justifie et est nécessaire et légitime dans les circonstances. Le Comité a exprimé à plusieurs occasions sa préoccupation au sujet d’États parties qui semblaient avoir dérogé aux droits protégés par le Pacte, ou dont le droit interne semblait autoriser une telle dérogation dans des situations non couvertes par l’article 4 (…)

La question de savoir quand et dans quelle mesure il peut être dérogé à certains droits ne peut être examinée sans qu’il soit tenu compte de la disposition du paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte selon laquelle toute dérogation aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte n’est permise que « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». Cette condition fait obligation aux États parties de justifier précisément non seulement leur décision de proclamer un état d’exception, mais aussi toute mesure concrète découlant de cette proclamation (…)

Le paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte stipule expressément qu’il ne peut être dérogé aux articles suivants: article 6 (droit à la vie), article 7 (interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et des expériences médicales ou scientifiques menées sans le libre consentement de la personne concernée), article 8, paragraphes 1 et 2 (interdiction de l’esclavage, de la traite des esclaves et de la servitude), article 11 (interdiction d’emprisonner une personne incapable d’exécuter une obligation contractuelle), article 15 (principe de légalité en matière pénale, en vertu duquel la responsabilité pénale et les peines doivent être définies dans des dispositions claires et précises d’une loi qui était en vigueur et applicable au moment où l’action ou l’omission a eu lieu, sauf dans les cas où une loi ultérieure prévoit une peine moins lourde), article 16 (reconnaissance de la personnalité juridique de chacun) et article 18 (liberté de pensée, de conscience et de religion). Les droits consacrés dans ces dispositions ne sont pas susceptibles de dérogation du simple fait qu’ils sont énumérés au paragraphe 2 de l’article 4 (…) À plusieurs occasions, le Comité s’est déclaré préoccupé par le fait qu’il était dérogé ou qu’il risquait pouvoir être dérogé à des droits non susceptibles de dérogation conformément au paragraphe 2 de l’article 4, du fait de l’insuffisance du régime juridique de l’État partie ».

Source : ONU, Comité des droits de l’homme, observation générale no.29- État d’urgence (art.4), 31 août 2001, CCPR/C/21/Rev.1/Add.11,  en ligne : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/TBSearch.aspx?Lang=fr&TreatyID=8&DocTypeID=11

NB : Dans le cas de la Charte de la langue française, le gouvernement du Québec avait, dans sa loi (Loi modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1988, c. 54, art.10), notamment dérogé au droit à la liberté d’expression. Or le paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte international n’interdit pas une dérogation au droit à la liberté d’expression garanti, par ailleurs, à l’article 19 du Pacte. Il interdit une dérogation à la liberté de conscience et de religion garantie à l’article 18 du Pacte. En d’autres termes, le cas de la Charte de la langue française (qui dérogeait à la liberté d’expression) se distingue du cas du PL21 (qui entend déroger à la liberté de conscience).

Contrairement au Pacte international, les articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise semblent a priori permettre au législateur québécois de déroger dans une loi au droit à la liberté de conscience et de religion.

Or l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités mentionne :

« Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité (…) ».
À ce sujet, voir : Zingre c. La Reine et autres, [1981] 2 RCS 392. Dans cet arrêt, le juge Dickson cite, au nom de tous les juges, le ministère canadien des Affaires extérieures qui affirmait : « il est un principe consacré dans le droit coutumier international qu’un état ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier son omission de s’ac­quitter de ses obligations internationales ». Voir aussi : R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 RCS 571 au para.271.

Le 4 février 1932, la Cour Permanente de Justice Internationale affirmait dans un avis consultatif : « Un État ne saurait invoquer, (…) sa propre constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur ».

En somme, si le législateur québécois adopte le PL 21 avec les clauses dérogatoires permettant de déroger au droit à la liberté de conscience et de religion, des citoyens du Québec s’estimant brimés pourraient porter plainte contre le Québec pour violation des articles 4(2) et 18 du Pacte international au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

En effet, en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé par le Canada le 19 mai 1976 après avoir notamment obtenu l’aval du Québec le 21 avril 1976, le Comité des droits de l'homme « a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation, par cet Etat partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte ». En d’autres termes, les États parties acceptent la compétence du Comité des droits de l’homme pour examiner la plainte d’un individu selon laquelle un État partie a violé ses droits au titre du Pacte. La plainte doit traiter d’une violation, par l’État partie, de tout droit couvert par le Pacte. Conformément à l’article 2, un particulier qui présente une plainte au Comité doit d’abord avoir épuisé tous les recours internes et doit relever de la compétence de l’État partie.

Alors que la plainte fait l’objet d’un examen, le Comité des droits de l’homme peut émettre un avis non contraignant à l’intention de l’État partie, qu’on appelle une « demande de mesures provisoires ». Cette demande vise à éviter un préjudice irréparable. Une fois qu’il aura considéré la plainte de l’individu et la réponse écrite de l’État, le Comité présentera ses vues définitives. Les vues définitives et les recommandations du Comité ne sont pas exécutoires ; en d’autres termes, l’État partie n’est pas légalement obligé de les mettre en œuvre.

Source : Gouvernement du Canada, Rapports sur les traités des Nations Unies relatifs aux droits de la personne, en ligne : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/systeme-canada-nations-unies/rapports-traites-nations-unies.html#a1



Conclusion

J’exhorte le gouvernement du Québec à renoncer à l’usage dans le PL21 des dispositions de dérogation, prévues aux articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise, afin de se conformer au droit international. En effet, « en sa qualité de membre de la communauté internationale », le Québec « n’est pas censé légiférer de manière à violer un traité ou de quelque manière incompatible avec la courtoisie internationale ou les règles établies du droit international ». Le droit international autorise un État à déroger, dans une loi, aux droits contenus dans le Pacte international que dans un cas de danger public exceptionnel menaçant l'existence de la nation. Le Pacte international interdit également, en toute circonstance, à un État de déroger au droit à la liberté de conscience. Contrevenir au droit international enverrait un très mauvais message aux citoyens québécois qui auront à essuyer et à pâtir des conséquences de ce projet de loi s’il est adopté. Si ce projet de loi est adopté, le gouvernement est en droit de s’attendre, au nom de la primauté du droit, que les citoyens respectent les obligations imposées par cette nouvelle loi.  Mais la primauté du droit n’est pas que l’affaire des citoyens. La Cour suprême du Canada affirme : « le droit est au‑dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen ». La primauté du droit exige également « que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution ». Le Québec devrait donc être soucieux, dans la mise en œuvre des deux Chartes, de ses obligations en droit international et de ses engagements internationaux. À ce sujet, rappelons que, selon le secrétaire général du Conseil de sécurité des Nations Unies, un « État de droit » signifie notamment qu’un État est également soumis aux lois qu’il a lui-même promulguées, lesquelles doivent être compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme :

« Le concept d’« état de droit » ou de « légalité » s’inscrit au coeur même de la mission de l’Organisation. Il désigne un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme. Il implique, d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard de la loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et des processus législatifs ».

Source : ONU, Conseil de sécurité, Rapport du secrétaire général, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 23 août 2004, S/2004/616, en ligne : https://undocs.org/fr/S/2004/616

En octobre 1984, lorsque le Canada présenta son rapport au comité des droits de l’homme des Nations Unies, l’un des membres du comité a affirmé que la dérogation prévue à l’article 33 de la Charte canadienne ne respectait pas l’article 4 du Pacte international.

Source : Gisèle Côté-Harper, « Les minorités et le droit à l’égalité : introduction » (1986) 27 :1 Les Cahiers de droit 135 à la p.141. Voir aussi : CCPR/C/SR.559, 19 nov. 1984 ; Rapport du comité des droits de l’homme, doc. A/40/4, 19 sept. 1985.

En réponse à cette préoccupation du comité des droits de l’homme des Nations Unies, « les représentants du gouvernement canadien ont assuré le Comité des droits de l'homme de l'O.N.U. que tout recours à l'article 33 devra être compatible avec les obligations internationales du Canada, telles qu'elles résultent notamment du Pacte en question ».

Source : Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La suprématie législative et l'édiction d'une charte des droits Britannique » (1988) 29:3 Les Cahiers de droit 638 à la p.655.

En effet, voici ce que le Comité des droits de l’homme mentionnait dans l’un de ses rapports :

« 8.4 Enfin, le Gouvernement canadien affirme que l’existence de l’article 33 en soi n’est pas contraire à l’article 4 du Pacte et que l’utilisation de l’article 33 de la Charte n’équivaut pas nécessairement à une dérogation interdite par le Pacte : "Le Canada doit veiller à ce que l’article 33 ne soit jamais invoqué dans des circonstances où il y aurait contravention au droit international. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs affirmé que ’les obligations internationales du Canada ... devraient [régir] ... l’interprétation du contenu des droits garantis par la Charte’." Ainsi, une dérogation législative ne pourrait jamais être invoquée pour autoriser des actes qui sont clairement prohibés par le droit international. Par conséquent, la dérogation législative figurant à l’article 33 est, selon le Gouvernement, compatible avec le Pacte ».

Source : ONU, Comité des droits de l’homme, Constatations, 47e session, 5 avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989, en ligne : https://www.hri.ca/wp-content/uploads/DOC-2018-06-03-03-03-03-841.pdf

De plus, comme le mentionnait la Cour suprême du Canada, « la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit ».  

Source : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.67.

En conséquence, le gouvernement ne peut, en adoptant le PL 21, prétendre agir démocratiquement alors que ce projet de loi contrevient, selon moi, à la primauté du droit en dérogeant (alors que le droit international l’interdit) au droit à la liberté de conscience et en occultant des principes constitutionnels non écrits tels que le respect des minorités. Comme le mentionnait le philosophe du droit Ronald Dworkin, dont l’ouvrage a été cité par les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) (1993) :

« Because we honor dignity, we demand democracy, and we define it so that a constitution that permits a majority to deny freedom of conscience is democracy’s enemy, not its author ».

Source : Ronald Dworkin, Life's Dominion : An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom, New York, Vintage books, 1994. Ouvrage cité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519.



Arguments juridiques contre le recours par le législateur à l’article 33 de la Charte canadienne pour déroger dans une loi à la liberté de conscience en contravention avec le droit international

Bien que l’argument qui suit soit juridiquement discutable, il n’est pas certain, selon moi, que le législateur, en adoptant l’article 33 de la Charte canadienne, a eu « l’intention non équivoque » de contrevenir à l’article 4(2) du Pacte international qui interdit, en toute circonstance, au législateur de déroger dans une loi à la liberté de conscience. Voici mon raisonnement :

La Cour suprême du Canada affirme :

« D’une part, l’organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté internationale.  Appelé à choisir entre diverses interprétations possibles, le tribunal doit éviter celles qui emporteraient la violation de ces obligations.  D’autre part, l’organe législatif est présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel.  Le tribunal privilégie donc l’interprétation qui reflète ces valeurs et ces principes, lesquels font partie du contexte d’adoption des lois.  La présomption est toutefois réfutable.  La souveraineté du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale ».

Source : R. c. Hape, 2007 CSC 26 (CanLII) au para.53. Voir aussi Daniels v. White, [1968] SCR 517.

L’article 33(1) de la Charte canadienne mentionne : « Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ». Or l’article 2a) prévoit la liberté de conscience et de religion. Donc le libellé de l’article 33 de la Charte canadienne semble clair et semble a priori autoriser le législateur à déroger dans une loi à la liberté de conscience et de religion. Ce faisant, cet article semble contrevenir à l’article 4(2) du Pacte international qui interdit, en toute circonstance, à un État de déroger dans une loi à la liberté de conscience. Certains pourraient vouloir conclure qu’il s’agit d’une « intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale ».

Toutefois, la Cour suprême du Canada nous enseigne que « des mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode moderne d’interprétation ».

Sources : Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.10 ; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2013] 3 RCS 895 au para.43.

La Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu que « le libellé du par. 33(1) de la Charte canadienne n'est pas sans ambiguïté ».

Source : Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712 au para.35.

La Cour suprême du Canada nous enseigne également qu’il « est raisonnable de se référer à une convention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût‑elle latente » même si celle-ci semble « claire en soi ». La Cour affirme :

Qu’il « est raisonnable de se référer à une convention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût‑elle latente L'assertion de la Cour d'appel que le recours à un traité international n'est permis que dans un cas où la disposition de la loi nationale est ambiguë à première vue est à écarter.  Comme le dit I. Brownlie, à la p. 51 de Principles of Public International Law (3e éd. 1979):

S'il est permis d'avoir recours à la convention conformément au principe correct suivant lequel la loi est destinée à assurer l'application de cette convention, alors il s'ensuit que celle‑ci devient une aide légitime à l'interprétation et, plus particulièrement, qu'elle peut faire ressortir une ambiguïté latente dans le texte de la loi, même si cette dernière est "claire en soi".  D'autre part, le principe ou la présomption voulant que Sa Majesté n'ait pas l'intention de violer un traité international doit comporter comme corollaire que le texte de l'instrument international représente une source principale du sens ou de "l'interprétation".  Les tribunaux ont reconnu dernièrement la nécessité de se référer au traité pertinent même lorsque le texte législatif, pris isolément, ne contient aucune ambiguïté ».

Source : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 RCS 1324.

De plus, la Cour suprême du Canada énonce qu’« un principe bien établi d’interprétation législative veut que les tribunaux s’efforcent, dans l’interprétation de la législation nationale, d’arriver à une interprétation qui concorde avec les obligations du Canada découlant de traités ».

Source : États-Unis d'Amérique c. Anekwu, [2009] 3 RCS 3 au para.25.

De même, selon la Cour suprême du Canada « donner à une loi canadienne une interprétation qui va à l’encontre des obligations internationales du Canada risque d’amener les tribunaux à s’ingérer dans la conduite des affaires étrangères de l’exécutif et la censure en droit international. L’importance contextuelle du droit international est d’autant plus claire lorsque la disposition à interpréter a été « adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales ».

Source : B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47.

Or comme je l’ai déjà mentionné, le pouvoir exécutif canadien responsable de la signature du Pacte international s’est engagé à « ce que l’article 33 ne soit jamais invoqué dans des circonstances où il y aurait contravention au droit international » et « ont assuré le Comité des droits de l'homme de l'O.N.U. que tout recours à l'article 33 devra être compatible avec les obligations internationales du Canada, telles qu'elles résultent notamment du Pacte en question ».

Sources : ONU, Comité des droits de l’homme, Constatations, 47e session, 5 avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989 au para.8.4, en ligne : https://www.hri.ca/wp-content/uploads/DOC-2018-06-03-03-03-03-841.pdf ; Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La suprématie législative et l'édiction d'une charte des droits Britannique » (1988) 29:3 Les Cahiers de droit 638 à la p.655.

On pourrait donc conclure ainsi :

- Considérant que « l’organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté internationale » (R. c. Hape, 2007 CSC 26 (CanLII) au para.53) ;

- Considérant que « la présomption est toutefois réfutable.  La souveraineté du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale » (R. c. Hape, 2007 CSC 26 (CanLII) au para.53) ;

- Considérant que l’article 4(2) du Pacte international, signé par le Canada et ratifié par le Québec, interdit, de façon expresse et en toute circonstance, à un État de déroger dans une loi à la liberté de conscience et de religion garantie à l’article 18 du Pacte ;

- Considérant que l’article 33(1) de la Charte canadienne mentionne que « le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte » ;

- Considérant que le libellé de l’article 33(1) de la Charte canadienne semble a priori autoriser une dérogation à la liberté de conscience et de religion prévue à l’article 2a) de la Charte canadienne et semble donc a priori contrevenir à l’article 4(2) du Pacte international ;

- Considérant toutefois que l’article 4(2) du Pacte international, n’interdit pas à un État de déroger dans une loi aux autres libertés fondamentales à savoir la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association prévues aux paragraphes b) c) et d) de l’article 2 de la Charte canadienne ;

- Considérant qu’une interprétation de l’article 33(1) de la Charte canadienne qui serait conforme à l’article 4(2) du Pacte international exigerait seulement que le législateur ne puisse, dans une loi, déroger à la liberté de conscience et de religion (art.2 a) de la Charte) sans toutefois interdire à ce législateur de déroger aux autres libertés fondamentales (art.2 b), c), d) de la Charte) ;

- Considérant que la Cour suprême du Canada a clairement mentionné  « la prééminence de la conscience individuelle et l'inopportunité de toute intervention gouvernementale visant à forcer ou à empêcher sa manifestation » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.121) ;

- Considérant la méthode moderne d’interprétation selon laquelle « il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 RCS 667 au para.80 ; R. c. Comeau, [2018] 1 RCS 342 au para.52) ;

- Considérant que selon cette méthode moderne « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 au para.21 ; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.9) ;

- Considérant que les mots en apparence clairs de l’article 33 de la Charte canadienne peuvent, une fois mis en contexte, révéler une ambiguïté latente (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.10) ;

- Considérant que la Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu que « le libellé du par. 33(1) de la Charte canadienne n'est pas sans ambiguïté » (Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712 au para.35) ;

- Considérant qu’il « est raisonnable de se référer à une convention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût‑elle latente » (National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 RCS 1324) ;

- Considérant que les documents constitutionnels comme la Charte canadienne doivent être « situés dans leurs contextes linguistique, philosophique et historique appropriés » (Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 RCS 704 au para.25 ; R. c. Comeau, [2018] 1 RCS 342 au para.52) ;

- Considérant que « l’essor des droits de la personne sur le plan international est un facteur important qui a contribué à l’adoption, au Canada, d’un document garantissant des droits et libertés » (Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au para.57) ;

- Considérant que le droit international est donc un facteur important qui a contribué à l’adoption de la Charte canadienne et qu’on doit tenir compte dans la recherche de l’intention du législateur ;

- Considérant que le droit international, par le biais de l’article 4(2) du Pacte international, interdit depuis le 19 mai 1976 au Canada de déroger dans une loi à la liberté de conscience ;

- Considérant que cette interdiction en droit international existait déjà au moment de l’adoption de la Charte canadienne en 1982 ;

- Considérant que les débats parlementaires ne semblent pas indiquer une « intention non équivoque » du législateur de contrevenir au droit international ;

- Considérant qu’ « il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne » (Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 3 RCS 157 aux paras.23-25 ; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391 au para.70 et 79 ; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 au para.55.

- Considérant que le fait de « donner à une loi canadienne une interprétation qui va à l’encontre des obligations internationales du Canada risque d’amener les tribunaux à s’ingérer dans la conduite des affaires étrangères de l’exécutif et la censure en droit international » (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47) ;

- Considérant que « l’importance contextuelle du droit international est d’autant plus claire lorsque la disposition à interpréter a été « adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales » (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47) ;

-    Considérant que la Charte canadienne a été adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales à savoir la conformité du Canada avec son obligation prévue à l’article 2 du Pacte international ;

- Considérant que « les tribunaux doivent s’efforcer, dans l’interprétation de la Charte canadienne, d’arriver à une interprétation qui concorde avec les obligations du Canada découlant de traités » (États-Unis d'Amérique c. Anekwu, [2009] 3 RCS 3 au para.25) dont l’article 4(2) du Pacte international ;

- Considérant que le pouvoir exécutif canadien responsable de la signature du Pacte international s’est engagé à « ce que l’article 33 ne soit jamais invoqué dans des circonstances où il y aurait contravention au droit international » et « ont assuré le Comité des droits de l'homme de l'O.N.U. que tout recours à l'article 33 devra être compatible avec les obligations internationales du Canada, telles qu'elles résultent notamment du Pacte en question » ((Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La suprématie législative et l'édiction d'une charte des droits Britannique » (1988) 29:3 Les Cahiers de droit 638 à la p.655 et ONU, Comité des droits de l’homme, Constatations, 47e session, 5 avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989 au para.8.4) ;

- Considérant que l’intention du pouvoir exécutif canadien n’a donc jamais été que l’article 33 de la Charte canadienne puisse être utilisé d’une manière qui contrevient au droit international et donc à l’article 4(2) du Pacte international ;

- Considérant que pour toutes ces raisons, il est alors invraisemblable que le législateur ait eu « l’intention non équivoque » de contrevenir au droit international et notamment à l’article 4(2) du Pacte international ;

- Considérant que l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, à laquelle le Canada a adhéré le 14 octobre 1970, mentionne qu’« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité (…) » (Zingre c. La Reine et autres, [1981] 2 RCS 392) ;

- Considérant que « les principes constitutionnels non écrits » « guident l'interprétation du texte », « inspirent et nourrissent le texte de la Constitution », « en sont les prémisses inexprimées » et sont « investis d'une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras.49, 52-54 ; Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 RCS 704 aux paras.25-26 ; R. c. Comeau, [2018] 1 RCS 342 au para.52) ;

- Considérant que « le respect de ces principes est indispensable au processus permanent d'évolution et de développement de notre Constitution, cet «arbre vivant» » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras.52-53) ;

- Considérant que « les normes établies ou implicites dans les instruments juridiques internationaux auxquels l’État a adhéré » sont, selon l’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin, des « sources de principes constitutionnels non écrits » (Voir : Beverly McLachlin, « Les principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans ce domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre 2005) ;

- Considérant que de déroger, dans une loi, à la liberté de conscience contreviendrait à une norme juridique internationale établie dans le Pacte international, auquel le Canada et le Québec ont  adhéré, et contreviendrait donc potentiellement à un principe constitutionnel non écrit ;

- Considérant que « la démocratie » est l’un des « principes constitutionnels non écrits » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras. 49 et 61) ;

- Considérant que la Cour suprême du Canada est d’avis que la liberté de conscience est « au cœur de notre tradition politique démocratique » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.122) ;

- Considérant que de déroger, dans une loi, à la liberté de conscience contreviendrait à la « tradition politique démocratique » et donc au principe constitutionnel non écrit de démocratie ;

- Considérant que « le respect des droits des minorités » est l’un des « principes constitutionnels non écrits » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para. 49) ;

-    Considérant que « le respect des droits des minorités » « a été un des facteurs clés qui ont motivé l'adoption de la Charte » et « a clairement été un facteur essentiel dans l'élaboration de notre structure constitutionnelle même à l'époque de la Confédération » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para. 81) ;

-    Considérant que « la Charte protège les minorités religieuses contre la menace de "tyrannie de la majorité" » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.96) ;

-    Considérant qu’une dérogation dans le PL 21 à la liberté de conscience et de religion risque d’affecter en particulier les minorités religieuses que la Charte entendait pourtant protéger ;

- Considérant les propos du philosophe du droit Ronald Dworkin, dont l’ouvrage a été cité par les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) (1993), selon lesquels « une Constitution qui permet à une majorité de nier la liberté de conscience est l’ennemi de la démocratie, pas son auteur » (traduction libre) (Ronald Dworkin, Life's Dominion : An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom, New York, Vintage books, 1994) ;

- Considérant que, selon l’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin, « la tâche des juges consiste à rendre la justice. Les juges qui appliquent des lois injustes, des lois contraires à nos convictions fondamentales sur ce qu’est une société juste, perdent leur légitimité. Des juges qui se laissent récupérer par des régimes corrompus ne sont plus dignes d’exercer leurs fonctions. Telle est la leçon des procès de Nuremberg. Et c’est aussi une leçon qui devrait enhardir les juges qui constatent des manifestations d’injustice plus banales » (Voir : Beverly McLachlin, « Les principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans ce domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre 2005) ;

- Considérant qu’il est possible d’interpréter l’article 33(1) de la Charte canadienne d’une manière conforme au droit international comme autorisant un législateur à déroger dans une loi à n’importe quelle liberté fondamentale prévue au paragraphe b), c) ou d) de l’article 2 de la Charte canadienne à l’exception de la liberté de conscience prévue au paragraphe a) de l’article 2 sans faire violence au texte constitutionnel et à l’objet de la Charte à savoir « "la protection constante des droits et libertés individuels" » (Hunter et autres c. Southam (1984) et R. c. Big M Drug Mart Ltd (1985) au para.121 ; R. c. Tran, [1994] 2 RCS 951) ;

Conclusion : Un législateur (fédéral ou provincial) ne peut, dans une loi, déroger à la liberté de conscience prévue à l’article 2a) de la Charte canadienne en ayant recours à l’article 33 de la Charte canadienne, car cet article ne peut être interprété comme autorisant une contravention aux obligations du Canada et du Québec en droit international et notamment à l’article 4(2) du Pacte international.

Patrice Garant, professeur émérite de droit public, affirme également : « Je suis convaincu qu’une Cour ignorerait une clause dérogatoire qui serait contraire au Droit international ».

Source : Patrice Garant, Mémoire déposé dans le cadre des consultations particulières sur le PL21 (010M).


Pour le futur

Il y aurait peut-être lieu de requérir du gouvernement québécois un amendement à l’article 52 de la Charte québécoise afin qu’il soit dorénavant interdit pour le gouvernement québécois de déroger, dans une loi, à la liberté de conscience et aux autres droits dont la dérogation est interdite en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

NB : Cet amendement à la Charte québécoise interdirait notamment toute dérogation au droit à la liberté de conscience, mais n’empêcherait pas pour autant le gouvernement québécois de justifier au nom d’un objectif urgent et réel une limite à ce droit en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise.



L’usage des dispositions de dérogation

-    À mon avis, les dispositions de dérogation ne devraient être utilisées qu’exceptionnellement, conformément à l’article 4(1) du Pacte international, car elles sont antinomiques à l’objet des Chartes à savoir « "la protection constante des droits et libertés individuels" » (Hunter et autres c. Southam (1984) ; voir aussi l’article 1 de la Charte canadienne qui mentionne que la Charte « garantit les droits et libertés qui y sont énoncés »).

-    Le législateur ne devrait jamais y recourir afin de déroger à un droit ou à une liberté (en particulier à la liberté de conscience) dont la dérogation est interdite en droit international en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

-    Comme le suggérait l’honorable Peter Lougheed, avocat et ancien premier ministre de l’Alberta, les dispositions de dérogation ne devraient pas être utilisées de manière préventive (mais seulement de façon réactive) afin d’éviter de rompre « le dialogue entre les différents organes du gouvernement ». De plus, le vote nécessaire pour recourir aux dispositions de dérogation devrait être d’au minimum 60 % des votes des membres de l’Assemblée nationale (et non une majorité simple).

Source : Peter Lougheed, « Why a notwithstanding clause ? » à la p.17, en ligne : https://ualawccsprod.srv.ualberta.ca/images/points-of-view/Lougheed.pdf

-    L’objet de la Charte canadienne, dans lequel s’inscrit l’article 33, est que « la société canadienne doit être libre et démocratique » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64) et pas uniquement démocratique. D’ailleurs, l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache, est d’avis que la Charte canadienne est « l’expression ultime et profondément canadienne de la primauté accordée à la liberté et à la dignité humaine ». Pour cette raison, les tribunaux devraient, selon moi afin de se conformer à l’article 4(1) du Pacte international, revoir les exigences (actuellement limitées « à des exigences de forme seulement ») que doit satisfaire un législateur qui souhaite recourir à l’article 33 de la Charte canadienne. En effet, le législateur devrait, à mon avis, avoir à fournir aux citoyens et aux tribunaux une « justification » pour déroger à un droit ou à une liberté fondamentale ainsi qu’un lien rationnel entre cette dérogation et l’objectif poursuivi par la loi. La « justification » ou l’objectif urgent, important et réel à cette dérogation pourrait reposer sur des valeurs constitutionnelles incluant par exemple les autres droits et libertés, les valeurs d’une société libre et démocratique « qui sont à l'origine des droits et libertés » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64) et les principes constitutionnels non écrits, dont le respect des minorités et le droit international. Évidemment, « les considérations budgétaires à elles seules ne peuvent pas être invoquées en tant qu’objectif urgent et réel » ([2003] 2 RCS 504 au para.109 ; [2004] 3 R.C.S. 381 aux paras.71-72). Le législateur ne pourrait pas non plus « se fonder sur un objet inconstitutionnel » ([1985] 1 RCS 295 aux paras.80, 85, 141 ; [1987] 1 R.C.S. 1045 au para.51). En revanche, les tribunaux devraient, dans leur analyse, accorder une grande déférence au législateur afin de respecter le principe de souveraineté parlementaire. Contrairement à l’article 1 de la Charte canadienne, le gouvernement n’aurait cependant pas, selon ce que je propose, à démontrer une atteinte minimale et une proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi. Il y aurait donc une différence claire en terme d’exigence entre le recours à l’article 33 (disposition de dérogation à un droit) et le recours à l’article 1 (disposition de limitation d’un droit) de la Charte canadienne.



À mon avis, les dispositions de dérogations pourraient, par exemple, être utilisées afin de (liste non limitative) :

1.         Suspendre temporairement l’application d’un jugement de la Cour suprême du Canada déclarant inopérante une loi visant à protéger des personnes défavorisées et/ou vulnérables.

Source : Sur la possibilité d’utiliser la clause nonobstant pour suspendre temporairement l’application d’un jugement de la Cour suprême, voir : Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20 au para.141.

Par exemple, lors de l’ère Lochner aux États-Unis (1897-1937), les tribunaux ont invalidé d'importantes dispositions législatives du programme de réglementation connu sous le nom de « New Deal ». Presque tous les commentateurs s'entendent pour dire aujourd'hui que cette période constitue une époque sombre dans l'histoire de la Constitution américaine.  À ce sujet, la Cour suprême du Canada affirme :

« Notre Cour a fait remarquer à diverses occasions que la Charte n'est pas un instrument dont peuvent se servir les personnes favorisées pour écarter les protections législatives adoptées afin de protéger ceux qui sont vulnérables.  Ce principe a été énoncé pour la première fois par le juge en chef Dickson, au nom de la majorité, dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713.  Il a écrit, à la p. 779:

Je crois que, lorsqu'ils interprètent et appliquent la Charte, les tribunaux doivent veiller à ce qu'elle ne devienne pas simplement l'instrument dont se serviront les plus favorisés pour écarter des lois dont l'objet est d'améliorer le sort des moins favorisés.

Ce même principe a été repris et souligné dans les arrêts Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 993, et Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1051.  Ce principe reconnaît qu'une grande partie de la réglementation adoptée par le gouvernement vise à protéger les personnes vulnérables.  En fait, il serait malheureux que la Charte puisse être utilisée pour contester des mesures destinées à protéger les membres les moins favorisés de la société qui sont comparativement dénués de pouvoirs.  Il est intéressant de signaler qu'aux États‑Unis, les tribunaux ont invalidé d'importantes dispositions législatives du programme de réglementation connu sous le nom de "New Deal".  Presque tous les commentateurs s'entendent pour dire aujourd'hui que cette période appelée "l'ère Lochner" constitue une époque sombre dans l'histoire de la Constitution américaine ».

Source : R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 RCS 154.

Au Canada, on pourrait donner comme exemples de décisions de la Cour suprême du Canada qui auraient pu possiblement justifier le recours aux dispositions de dérogationl’arrêt Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712 sur la Charte de la langue française ;

-               l’arrêt R. c. Sharpe, [2001] 1 RCS 45 sur la pornographie juvénile ;

-               l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle de santé risquant de nuire au système de santé publique.

2.         Suspendre temporairement l’application d’un jugement de la Cour suprême du Canada qui concerne un enjeu social important.
Le philosophe du droit, Ronald Dworkin, donne des exemples où les tribunaux américains ont, selon lui, commis des erreurs graves sur des enjeux sociaux importants :

« A phalanx of like-minded justices can indeed strike down popular laws, impair popular policies, and critically alter our electoral institutions and processes. They can make very serious mistakes in exercising that power. The Supreme Court did great damage in ruling large parts of President Franklin Roosevelt’s New Deal legislation unconstitutional in the 1930s and, in the early years of Chief Justice Roberts’s tenure, in striking down programs to relieve racial tension and discrimination. The Court damaged democracy itself both in the way it resolved the 2000 presidential election and in its recent 5– 4 ruling that corporations cannot be prevented from spending what they wish on negative television advertising to defeat legislators who oppose their interests ».

Source : Ronald Dworkin, Justice for Hedgehogs, Cambridge, Harvard University Press, 2011 à la p.397.
Au Canada, on pourrait donner comme exemples de décisions de la Cour suprême du Canada qui auraient pu possiblement justifier le recours aux dispositions de dérogations :

-               l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 portant sur l’aide au suicide. À ce sujet, l’ancien juge de la Cour d’appel du Québec, Me Jean-Louis Baudouin, affirmait : « On peut s’interroger sur la légitimité non pas formelle, mais sociale d’une décision partagée 5-4 du plus haut tribunal du pays sur, par exemple, l’aide au suicide » (Jean-Louis Baudouin, « Common law, droit civil : réflexion sur les outils du juge en bioéthique » (2006) 17 Journal international de bioéthique 95 à la p.99).

-               l’arrêt Gosselin c . Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429 où la Cour s'est penchée sur la constitutionnalité du Règlement sur l'aide sociale de 1984 qui fixait le montant des prestations de base payables aux personnes de moins de 30 ans au tiers de celui des prestations de base versées aux 30 ans et plus.

-               l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 RCS 76 portant sur la constitutionnalité de la décision du législateur d’établir une zone à l’intérieur de laquelle les pères, mères et instituteurs peuvent, dans certaines circonstances, employer une force légère pour corriger un enfant sans s’exposer à des sanctions pénales.

-               l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle de santé risquant de nuire au système de santé publique.



L’importance de protéger les droits de l’homme dans le contexte actuel

Aujourd’hui, plus que jamais, il est important de défendre les droits de l’homme. À ce sujet, le secrétaire-général des Nations Unies, António Guterres, affirmait en 2018 :

« Nous honorons donc aujourd’hui les défenseurs des droits de l’homme qui risquent leur vie pour protéger leurs semblables, face à la montée de la haine, du racisme, de l’intolérance et de la répression.

Les droits de l’homme sont assaillis de toutes parts.

Les valeurs universelles se délitent. L’état de droit est en recul.

Aujourd’hui, plus que jamais, il nous appartient clairement et collectivement de défendre les droits de l’homme, pour chacun, partout dans le monde ».

Source : Message du Secrétaire général des Nations, António Guterres (2018), en ligne : https://www.un.org/fr/events/humanrightsday/sgmessage.shtml

L’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin,  est du même avis :

« Dans les diverses régions du monde, les droits politiques, les libertés civiles et la primauté du droit sont attaqués depuis un certain nombre d’années. Bien que le Canada semble à l’abri de telles attaques, nous ne sommes pas pour autant immunisés. Les facteurs qui ont contribué au déclin de ces valeurs ailleurs dans le monde existent aussi chez nous. Le danger réside dans le fait que, même si ici la primauté du droit et l’indépendance de la magistrature ne sont pas l’objet de violentes attaques comme celles observées dans d’autres pays, nous pourrions néanmoins assister à un déclin graduel de ces valeurs au fil des ans, situation qui affaiblirait la primauté du droit et ferait en sorte que la magistrature serait moins respectée et moins indépendante. Il nous incombe donc de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller à ce que cela ne se produise pas.

En 2017, le Canada est un modèle en tant que société fondée sur la primauté du droit. Nos juges et nos tribunaux jouissent d’une très grande considération, tant au pays qu’à l’étranger. Je souhaite pouvoir dire la même chose dans dix ans, en 2027 ».

Source : Beverly McLachlin , « Le déclin de la démocratie et de la primauté du droit :
Comment protéger la primauté du droit et l’indépendance de la magistrature? » Allocution prononcée par la très honorable
Beverley McLachlin, le 28 septembre 2017, en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2017-09-28-fra.aspx



Éric Folot, avocat