« The bulk of the law, that part which defines and implements social, economic and foreign policy, cannot be neutral. It must state, in its greatest part, the majority's view of the common good. The institution of rights is therefore crucial, because it represents the majority's promise to the minorities that their dignity and equality will be respected. When the divisions among the groups are most violent, then this gesture, if law is to work, must be most sincere [...] is the one feature that distinguishes law from ordered brutality. If the Government does not take rights seriously, then it does not take law seriously either ». (Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press 1978 à la p.205)
Je ne souhaite pas
me prononcer pour ou contre le projet de loi 21 (ci-après PL21), mais seulement
avancer certains arguments contre l'usage des dispositions de dérogations.
Droit
interne
Le PL 21 mentionne
:
« CONSIDÉRANT qu’en vertu du principe
de la souveraineté parlementaire, il revient au Parlement du Québec de
déterminer selon quels principes et de quelle manière les rapports entre l’État
et les religions doivent être organisés au Québec ».
« 29. La présente loi ainsi que les
modifications qu’elle apporte à la Loi favorisant la neutralité religieuse de
l’État et visant notamment à encadrer les
demandes d’accommodements
pour un motif religieux dans certains organismes s’appliquent malgré les
articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne
(chapitre C-12) ».
« 30. La présente loi ainsi que les
modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment
des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de
la Loi sur le Canada, chapitre 11 du
recueil
des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982) ».
Or l'enchâssement
de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après Charte canadienne) dans la Constitution formelle
du Canada (« la loi suprême du Canada » en vertu de son article 52) a
« fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie
parlementaire à la suprématie constitutionnelle ».
Source :
Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.72.
En
d'autres termes, « la Constitution apporte des limites aux pouvoirs de
légiférer du Parlement et des législatures provinciales ». Ce ne
sont « pas les tribunaux qui imposent des limites au législateur,
mais bien la Constitution, que les tribunaux doivent interpréter ». Le Parlement
du Québec n'a donc pas tous les pouvoirs puisqu'il existe des « limites
constitutionnelles ». Nous vivons donc dans une « démocratie
constitutionnelle ». LA RÈGLE est donc que « les
citoyens doivent avoir le droit de contester les lois qui outrepassent à leur
avis les pouvoirs d’une législature.
Lorsqu’un tel recours est dûment exercé, les tribunaux sont constitutionnellement
tenus de trancher ».
Sources : Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières,
2018 CSC 48 (CanLII) au para.58 ; Vriend
c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.56 ; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c.
N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381 au para.105 ; Renvoi
relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217
au para.62.
Dans le PL 21, le
gouvernement a recours aux dispositions de dérogation prévues aux articles 33
de la Charte canadienne et 52 de la Charte des droits et libertés de
la personne (ci-après Charte
québécoise) afin de soustraire les dispositions de ce projet de loi
à un examen par les tribunaux dans le but de laisser « le dernier mot au législateur
et non aux tribunaux ».
Source : Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.30, j. Iacobucci.
L'article 33 a été
introduit dans la Charte canadienne par l'entente fédérale-provincial du
5 novembre 1981 afin d'obtenir le consentement des provinces (qui, avant
l'introduction de cet article, étaient opposées à la Charte canadienne en raison de la limite qu’elle imposait à leur
souveraineté parlementaire). Lorsqu’il est utilisé de manière préventive, comme
le fait le PL 21, cet article rompt « le dialogue entre les différents
organes du gouvernement » en permettant à une législature, pour une loi
spécifique et pour un maximum de 5 ans, de faire passer le système de
suprématie constitutionnelle à une suprématie parlementaire en supprimant le
droit des citoyens de contester devant les tribunaux cette loi qui contrevient,
selon eux, à leurs droits fondamentaux. Donc cet article 33 est une disposition
D'EXCEPTION, comme en témoigne
d’ailleurs le paragraphe 3 de cet article qui mentionne que cette dérogation
n’est valable que pour cinq ans après son entrée en vigueur.
Roy Romanow, l’honorable Jean
Chrétien et Roy McMurtry, les trois personnes qui ont négocié l’ajout de
l’article 33 dans la Charte canadienne,
sont également d’avis qu’il s’agit d’une disposition d’exception, car l’intention
qui a présidée à l’introduction de cet article dans la Charte canadienne était que cet article ne devait être utilisé que
dans des situations exceptionnelles et seulement en dernier recours :
« The
clause was designed to be invoked by legislatures in exceptional
situations, and only as a last resort after careful consideration. It was not
designed to be used by governments as a convenience or as a means
to circumvent proper process. That was clear at the time, and
it has been clear ever since »
Source : Macleans, « Chretien, Romanow and McMurtry attack Ford’s
use of the notwithstanding clause » (sept 14, 2018) Macleans, en ligne : https://www.macleans.ca/politics/ottawa/the-results-of-the-next-federal-election-if-electoral-reform-had-happened/
En effet, l’honorable Jean Chrétien affirmait le 20
novembre 1981 que l’article 33 de la Charte
canadienne est une « soupape de sécurité » qui ne sera
probablement utilisée que très rarement et que dans des circonstances non
controversées :
« What the Premiers
and the Prime Minister agreed to is a
safety valve which is unlikely ever to be used except in non-controversial
circumstances by Parliament or legislatures to override certain sections of
the charter. The purpose of an override clause
is to provide the flexibility that is required to ensure that legislatures
rather than judges have the final say on important matters of public
policy ».
Sources : Canada, House of Commons Debates,
“Resolution Respecting Constitution Act”, 32nd Parl, 1st Sess (20 November
1981), en ligne : https://primarydocuments.ca/house-of-commons-debates-resolution-respecting-constitution-act-6/ . Voir aussi : David Johansen, Philip
Rosen, « the notwithstanding clause of the charter » (september 1997)
BP-194E, en ligne : http://publications.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/bp194-e.htm
L’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable
Michel Bastarache, affirmait que l’article 33 de la Charte canadienne avait été envisagé, par le législateur, comme un
instrument pour corriger des erreurs judiciaires dans les rares cas où
une décision judiciaire serait clairement contraire à l’intérêt public. De
plus, selon le juge Bastarache, le législateur était d’avis que cet instrument
ne devrait être utilisé qu’avec un large appui de l’opinion publique et que
dans des cas non controversés :
« All agreed that section 33 was intended to give
the legislature the so-called “last word.” The controversy centred on the
extent to which the provision would be used. It appeared that section 33 was intended as a tool to correct “judicial
errors.” This is obvious from the
federal Minister of Justice’s description of section 33 as a “safety valve” and from
the following statement made by Chief Justice Roy McMurtry, then Attorney
General of Ontario:
The fact is that the
clause does provide a form of balancing mechanism between the legislators and
the courts in the unlikely event of
a decision of the courts that is clearly contrary to the public interest.
Further, provinces
contemplated the use of the Notwithstanding clause only in the face of strong public support. As a result, many
framers argued that the notwithstanding clause would be rarely used and that it
would only be applied to
noncontroversial issues.The provincial legislatures felt that it was
essential to prevent a possible misuse of this new constitutional document by
the courts ».
Source : Michel Bastarache,
« Section 33 and the relationship between legislatures and courts »
(2005) 14 :3 Forum Constitutionnel à la p.2, en ligne : https://www.academia.edu/25839322/WHY_OVERRIDE_CANADAS_CHARTER_OF_RIGHTS_Is_the_Notwithstanding_clause_a_sword_or_paper_tiger_Articles_by_JUSTICE_BASTARACHE_Paul_C._Weiler_author_of_the_idea_and_Thomas_Axworthy
Le professeur de droit à l’Université Harvard, Paul C.
Weiler, est également d’avis que l’article 33 de la Charte canadienne ne devrait être utilisé que dans des cas
exceptionnels pour corriger des erreurs judiciaires :
« The premise of the Charter is that the optimal
arrangement for Canada is a new partnership between court and legislature.
Under this approach judges will be on the front lines; they will possess both
the responsibility and the legal clout necessary to tackle "rights"
issues as they regularly arise. At the same time, however, the Charter
reserves for the legislature a final say to
be used sparingly in the exceptional case where the judiciary has gone
awry ».
Source : Paul C. Weiler, « Rights and judges in a democracy :
a new canadian version » (1984) 18 :1 University of Michigan Journal of Law Reform 51 à la p.84, en ligne : https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1939&context=mjlr
La
professeure de droit de l’Université de Toronto, Lorraine Weinrib, est du même
avis :
« The idea was to provide a safety
valve in exceptional circumstances,
not an easily accessible trap door out of the Charter’s strictures. The strong and growing convention
against using the override is thus faithful to its original purposes ».
Source : Lorraine Weinrib, « The Charter Critics :
strangers in a strange land » in The Judiciary as Third Branch of Government:
Manifestations and Challenges to Legitimacy (Canadian Institute for
the Administration of Justice: Les Editions Themis, 1999) à la p.249. Écoutez également ce
vidéo daté du 20 septembre 2018 et intitulé « Above the law »,
à partir de 34 minutes 55 secondes, où Mme Weinrib explique l’intention du
législateur lorsqu’il a adopté l’article 33 de la Charte canadienne : https://www.youtube.com/watch?v=RZ-Qngn8aYM . Écoutez également à 1h 20min.
30sec, où Mme Weinrib mentionne que lors de l’adoption de la Charte canadienne en 1982, le gouvernement
du Québec était enragé (pour des raisons politiques évidentes), mais pas la population québécoise.
Pour ma part, j’affirme que l'article 33 de la Charte canadienne est une disposition
D'EXCEPTION, comme l’est indiscutablement la limitation aux droits
prévue à l’article 1 de la Charte
canadienne (voir R. c. Oakes (1986)
au para.66 et Terre-Neuve (Conseil du
Trésor) c. N.A.P.E. (2004)
au para.102), car elle est antinomique à l’objet immuable ([1985] 1 RCS 295 aux
paras.89- ; [1988] 2
R.C.S. 680 aux paras.42-43) de la Charte canadienne, à
savoir « "la protection constante
des droits et libertés individuels" » (Hunter et autres c. Southam (1984) et R. c. Big M Drug Mart Ltd (1985) au para.121 ; R. c. Tran, [1994] 2 RCS 951). En effet, l’article 1 de la Charte canadienne mentionne que la
Charte « garantit les droits et
libertés qui y sont énoncés ». Dans un même ordre d’idée, l’article
2(3)(a) du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (ci-après Pacte international) mentionne que « les
États parties au présent Pacte s'engagent à garantir que
toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte
auront été violés disposera d'un recours
utile ». De même, l’article 4(1) du Pacte
international mentionne clairement qu’un État ne peut déroger aux droits
que « dans le cas où un danger
public exceptionnel menace l'existence de la nation ». L’article
28 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme (ci-après Déclaration
universelle) est également pertinent et mentionne :
« 28.
Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan
international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la
présente Déclaration puissent y trouver
plein effet ».
Or
il est généralement reconnu que la Déclaration
universelle jouit du statut de coutume en droit international et qu’elle
constitue donc une source du droit international (art.38(1)(b) du Statut de la
Cour internationale de justice).
Sources : Commission
des droits de la personne et Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu,
1991 CanLII 1358 (QC TDP) ; John P. Humphrey, « The international bill of
rights : scope and implementation » (1976) 17 Wm. & Mary L. Rev. 527 à la
p.529 ; Louis Henkin, « Human Rights : Ideology and Aspirations, Reality and
Prospect » in Samantha Power and Graham Allison, Realizing Human Rights :
Moving from Inspiration to Impact , Basingstoke, Palgrave Macmilllan, 2006 à la
p.12 ; Daniel Turp, « Le recours au droit international aux fins de
l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés : un bilan
jurisprudentiel » (1984) 18 R.J.T. 353 aux pp.374-375 ; Johannes Van Aggelen, «
The preamble of the United Nations declaration of human rights » (1999-2000) 28
Denv. J. Int'l L. & Pol'y 129 aux pp.131-132.
Selon la Cour suprême du Canada, « la coutume
internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit
du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui‑ci
ne déclare son droit interne incompatible ».
Source : R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 aux
paras.39 et 46.
La Déclaration
universelle, à titre de coutume internationale et en tant qu’elle constitue
donc le droit du Canada, peut donc servir à interpréter la Charte canadienne. Les articles 1 de la Charte canadienne, 2(3)(a) et 4(1) du Pacte international et 28 de la Déclaration
universelle démontrent, à mon avis, que l’article 33 de la Charte canadienne doit être considéré comme une disposition
D'EXCEPTION.
Source : Au soutien de mon affirmation, voir : Alliance des Professeurs de Montreal v.
A.-G. Quebec, 1985 CanLII 3058 (QC CA) au para.18.
La Cour suprême du
Canda a reconnu que l’objet de la Charte
québécoise est le même que celui de la Charte
canadienne à savoir « la protection du droit à la dignité et à l’égalité
de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la
discrimination ».
Sources : Québec
(Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal
(Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 RCS 665 au para.34 (voir aussi
para.46). Dans le préambule de la Charte
québécoise, il est d’ailleurs mentionné : « Considérant qu’il y a lieu
d’affirmer solennellement dans une Charte les libertés et droits fondamentaux
de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et
mieux protégés contre toute violation ».
En conséquence, une dérogation aux droits et libertés
garantis par la Charte québécoise est
donc antinomique à l’objet de la Charte
québécoise.
De plus, comme le reconnaissait la Cour suprême du Canada,
la Charte québécoise représente
« l’expression des valeurs les plus fondamentales de la
société québécoise ».
Source : De
Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 RCS 64 au para.53.
En conséquence, une dérogation aux droits et libertés
garantis par la Charte québécoise, en
plus d’être antinomique à l’objet de la Charte
québécoise, constitue une dérogation aux « valeurs les plus
fondamentales de la société québécoise ». La disposition de dérogation
prévue à l’article 52 de la Charte
québécoise est donc une disposition d'EXCEPTION.
De plus, l’article 33 de la Charte canadienne renverse la règle selon laquelle l'enchâssement de la Charte canadienne
dans la constitution a « fait passer le système canadien de gouvernement
de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle » afin de
permettre aux citoyens de contester une loi qui contrevient, selon eux, à leurs
droits fondamentaux. En effet, l'application de cet
article permet de redonner à une législature (provinciale ou fédérale) une
pleine souveraineté parlementaire sans limites (sauf partage de compétence
provincial-fédéral) pour adopter une loi. Cet article renverse donc la règle
susmentionnée en supprimant le droit des citoyens de contester une loi qui
contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux.
On pourrait bien
sûr me rétorquer que l'article 33 de la Charte canadienne n'est pas une
disposition d'exception :
- puisqu'il se
trouve dans la Charte canadienne et donc dans la constitution du Canada ;
- que son
application n'entraîne pas un reversement de la règle susmentionnée. En effet, bien
qu’elle supprime, pendant un maximum de 5 ans, le droit des citoyens de
contester une loi qui contrevient, selon eux, à leurs droits fondamentaux, son
application est conforme à la constitution et au principe de suprématie
constitutionnelle.
Or ce serait mal
comprendre ou faire fi des raisons qui ont justifié l'enchâssement de la Charte
canadienne dans la constitution formelle du Canada. Comme le reconnaît la
Cour suprême du Canada, la Charte
canadienne « n'a pas été adoptée
en l'absence de tout contexte » et doit donc « être située dans ses
contextes linguistique, philosophique et historique appropriés ».
Source : R.
c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.117.
L’honorable juge
Dickson de la Cour suprême du Canada était d’avis « que l’essor des droits
de la personne sur le plan international est un facteur important qui a
contribué à l’adoption » de la Charte
canadienne. Le droit
international est donc un facteur important qui a contribué à l’adoption de la Charte canadienne et qu’on doit tenir
compte dans l’interprétation de cette Charte. Or en droit international,
la dérogation est une mesure exceptionnelle en vertu de l’article 4(1) du Pacte international. De plus, le juge Dickson affirme que la Charte canadienne « est l’expression
de la volonté commune des gouvernements fédéral et provinciaux de limiter
leur souveraineté législative de manière à ne pas violer certains droits et
certaines libertés ». La Cour suprême du Canada en conclut, sur la
base des propos du juge Dickson, que l’objet
principal de la Charte canadienne est donc « de veiller à ce que toute
action gouvernementale soit conforme à certains droits et libertés individuels »
:
« L’ancien
juge en chef Dickson estime que l’essor des droits de la personne sur le plan
international est un facteur important qui a contribué à l’adoption, au Canada,
d’un document garantissant des droits et libertés. Il fait remarquer:
[traduction]
La Déclaration universelle des droits de l’homme témoigne de l’horreur
inspirée dans le monde entier par les violations des droits de la personne
qui ont été commises dans de nombreux pays au cours de la Deuxième Guerre
mondiale. La Déclaration universelle représentait cependant plus qu’une simple
expression d’horreur. Elle soulignait
également de façon éclatante la volonté, issue de la Deuxième Guerre
mondiale et des événements qui y ont conduit, de marquer le début d’une ère nouvelle pour l’humanité, une ère
empreinte d’un profond respect des droits de la personne.
. .
La
Charte est l’expression de la volonté commune des gouvernements fédéral et
provinciaux de limiter leur souveraineté législative de manière à ne pas violer
certains droits et certaines libertés. [Nous soulignons.]
Ces
déclarations confirment ce qui peut paraître évident à certains, c’est‑à‑dire
que l’objet principal de la Charte est
de veiller à ce que toute action gouvernementale soit conforme à certains
droits et libertés individuels
dont la protection est essentielle au maintien d’une société
démocratique et fonctionnelle dans laquelle la dignité fondamentale de tous les
individus est reconnue ».
Sources : Office
canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au
para.57. Voir aussi : Vriend
c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 aux paras.25 et 27, j.
Iacobucci.
On pourrait me rétorquer
qu'en ayant recours dans le PL21 à l'article 33 de la Charte canadienne,
le Parlement du Québec ne nie pas les droits fondamentaux des citoyens, car il
a préalablement procédé lui-même (à la place des tribunaux) à l'équilibrage des
droits en jeu et à la justification de l'atteinte des droits par l'objectif
poursuivi (limites raisonnables). Or il y a deux problèmes avec cet argument :
- En tout respect pour les membres de l'Assemblée nationale, je crois que les juges de la Cour supérieur et des tribunaux d'appels ont une certaine expertise en la matière (expertise en droit) que ne possèdent pas tous les membres de l'Assemblée nationale. En effet, comme la Cour suprême du Canada l'a reconnu, « la compatibilité d’une disposition avec la Constitution est une question de droit ». En d'autres termes, la violation ou non d'un droit fondamental n'est pas une question de fait, mais de droit.
Source : Nouvelle-Écosse
(Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation
Board) c. Laseur, [2003] 2 RCS 504 au para.28.
À ce sujet, le professeur
émérite de droit public, Patrice Garant, affirme : « lorsqu’il s’agit
d’apprécier si les restrictions imposées à une liberté fondamentale se
justifient au regard d’un principe constitutionnel (…) alors les
juges ont manifestement une expertise supérieure aux parlementaires » :
Patrice Garant, Mémoire déposé dans le cadre des consultations particulières du
PL 21 (010M).
- Malgré l'existence de consultations particulières (et non générales…) sur le PL21, il n'existe pas de garanties d'équité procédurale comme il en existe devant les tribunaux (par exemple : le droit pour toutes les parties intéressées d’être entendu et surtout le fait que les juges doivent être indépendants et impartiaux). Si les membres de l’Assemblée nationale procèdent à l’équilibrage en question, ils ne sont pas impartiaux, mais partiaux, c’est-à-dire à la fois « juge et partie » en contravention à la règle « nemo judex in sua causa » selon laquelle « nul ne doit être juge dans sa propre cause ». En effet, l’Assemblée nationale aurait un parti pris et donc un préjugé favorable à l’égard de son propre projet de loi et un préjugé défavorable pour les droits fondamentaux qui pourraient venir limiter son étendue. À ce sujet, la Cour suprême du Canada affirmait :
« Il
n’y a aucun doute qu’en général le Parlement et les législatures prennent
des mesures qui pour eux, qui représentent l’opinion de la majorité,
constituent des limites raisonnables dont la justification a été démontrée à
leur satisfaction. Le niveau de déférence que le
juge Marshall propose à l’égard du choix du législateur aurait pour effet de
circonscrire énormément et de rendre superflu le second regard indépendant que
les tribunaux doivent jeter en vertu de l’article premier de la Charte. Une telle déférence à l’égard de l’opinion de la
majorité accorderait peu de protection aux minorités (…) Si les « organes politiques » devaient être
l’« arbitre qui tranche de manière irrévocable » la question de la
conformité de leurs « stratégies » avec la Charte, il semblerait
alors que l’adoption de la Charte n’accorde aucune protection véritable aux
titulaires des droits (…) chaque fois qu’il existe des
limites à l’exercice licite du pouvoir de l’État, ces limites doivent être
soumises à un arbitre. Depuis la Confédération, les tribunaux
canadiens jouent ce rôle relativement au partage des pouvoirs entre le
Parlement et les législatures provinciales. La ligne de démarcation
entre le droit ou la liberté garantis à une personne et le pouvoir de l’État
doit aussi être soumise à un arbitre. Les rédacteurs de la Charte ont
désigné les tribunaux comme arbitre ».
Source :
Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381
aux paras.103, 111 et 116.
Cela étant dit, je
crois tout de même que le recours à l'article 33 de la Charte canadienne,
comme disposition d'EXCEPTION, peut cependant se justifier, et être
nécessaire et même un devoir,
dans certaines circonstances. En effet, la Cour suprême du Canada peut
commettre des erreurs et n’est donc pas plus infaillible que le législateur. Comme
le disait l’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis et procureur en chef
pour les États-Unis au procès de Nuremberg, Robert H. Jackson, à propos des
juges de la Cour suprême des États-Unis : « we
are not final because we are infallible, but we are infallible only because we
are final ».
Source : Brown v. Allen,
344 U.S. 443 (1953).
Conformément au
principe qu’il doit exister un dialogue entre
les différents organes du gouvernement, les décisions de
la Cour suprême du Canada ne doivent donc pas être irrémédiablement finales. Ce
dialogue entre les tribunaux et le législateur est important, car comme
l’affirmait le juge Robert H. Jackson : « each has the human tendency to magnify its own
jurisdiction, to practice what we call « empire building » (…)
the Court must respect the limitations of its own powers because judicial
usurpation is to me no more justifiable and no more promising of permanent good
to the country than any other kind ».
Source : Robert H.
Jackson, The Supreme Court in the American
System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 aux pp. 50 et 61.
À ce sujet, la
Cour suprême du Canada affirme également qu’il doit exister un processus de
reddition de compte entre les tribunaux et le législateur :
« Il est tout aussi important, pour les tribunaux, de respecter eux‑mêmes
les fonctions du pouvoir législatif et de l’exécutif que de veiller au respect,
par ces pouvoirs, de leur rôle respectif et de celui des tribunaux ».
« La révision judiciaire et ce dialogue sont
précieux, selon moi, parce qu’ils obligent en quelque sorte les divers organes
du gouvernement à se rendre mutuellement des comptes. Les tribunaux examinent le travail du législateur, et le législateur
réagit aux décisions des tribunaux en adoptant d’autres textes de loi (ou même
en se prévalant de l’art. 33 de la Charte pour
les soustraire à la Charte).
Ce dialogue et ce processus de reddition de compte entre organes du
gouvernement, loin de nuire au processus démocratique, l’enrichissent ».
Pour reprendre les termes employés par les auteures, Louise
Arbour et Fannie Lafontaine, l’objectif est donc de prévenir autant « la
tyrannie de la majorité » (par le législateur) que « la
tyrannie du judiciaire » (par les tribunaux). Ou comme le disait James
Madison, l’un des pères fondateurs des États-Unis : « Ambition
must be made to counteract ambition ».
Sources : Louise Arbour et Fannie Lafontaine, « Beyond self-congratulation : the charter at 25 in an international perspective » (2007) 45 :2 Osgoode Hall Law Journal 240 à la p.245. James Madison, « The Structure of the Government Must Furnish the Proper Checks and Balances Between the Different Departments From the New York Packet. Friday, February 8, 1788 », The Federalist Papers no.51, en ligne : http://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed51.asp
Le législateur est donc en droit de réagir à certaines
décisions abusives ou erronées de la Cour suprême du Canada en se prévalant notamment
de l’article 33 de la Charte canadienne.
En effet, la Cour suprême du Canada a parfois commis des erreurs
graves.
Pensons, par
exemple, à l’arrêt Edwards v. Canada (Attorney General) (1928), rendu bien avant l’adoption de la Charte canadienne, dans
lequel la Cour suprême du Canada avait déclaré que les femmes ne sont pas des «
personnes » éligibles aux fins d’être nommées au Sénat du Canada.
Source : Edwards
v. Canada (Attorney General), [1928] S.C.R. 276.Voir
aussi : Renvoi relatif au
mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 RCS 698 au para.22.
De même, pensons également au traitement
réservé en temps de guerre aux Canadiens d’origine japonaise, dont la validité
a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Reference to the Validity of
Orders in Council in relation to Persons of Japanese Race, [1946] S.C.R. 248.
Source : Demande
fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 RCS 248 au
para.114.
Plus récemment, après l’adoption de
la Charte canadienne, on peut penser
aux arrêts très controversés suivants :
-
l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 portant sur l’aide au
suicide. À ce sujet, l’ancien juge de la Cour d’appel du Québec, Me Jean-Louis Baudouin, affirmait : « On peut
s’interroger sur la légitimité non pas formelle, mais sociale d’une décision
partagée 5-4 du plus haut tribunal du pays sur, par exemple, l’aide au suicide
» (Jean-Louis Baudouin, « Common law, droit civil : réflexion sur les
outils du juge en bioéthique » (2006) 17 Journal international de bioéthique 95
à la p.99).
-
l’arrêt
R. c. Sharpe, [2001] 1 RCS 45 sur la
pornographie juvénile (2 exceptions ont été permises par la Cour).
-
l’arrêt Gosselin c . Québec (Procureur général), [2002] 4
R.C.S. 429 où la Cour s'est penchée sur la constitutionnalité du Règlement sur
l'aide sociale de 1984 qui fixait le montant des prestations de base payables
aux personnes de moins de 30 ans au tiers de celui des prestations de base
versées aux 30 ans et plus.
- l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur
général), [2004] 1 RCS 76 portant sur
la constitutionnalité de la décision du législateur d’établir une zone à
l’intérieur de laquelle les pères, mères et instituteurs peuvent, dans
certaines circonstances, employer une force légère pour corriger un enfant sans
s’exposer à des sanctions pénales.
- l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de
contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par
le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle
de santé risquant de nuire au système de santé publique.
Outre l'argument
selon lequel la Cour suprême du Canada n’est pas infaillible, mais qu’elle peut
faire des erreurs et l’argument historique à l’effet que l’article 33 a été
introduit dans la Charte canadienne
afin que les provinces puissent, au besoin, récupérer leur pleine souveraineté,
un des arguments au soutien du recours à cet article est la question de la
légitimité démocratique : les députés sont élus par la population alors que les
juges ne le sont pas. Pour reprendre les termes du prof. Peter W. Hogg : « why
should the views of non-elected judges prevail over the views of the elected
legislators ? » Puisque cet article vise à redonner aux législatures leur
pleine souveraineté parlementaire au nom de la légitimité démocratique,
l'utilisation de cet article ne devrait être envisagée que lorsque le
gouvernement au pouvoir représente minimalement, dans les faits, la majorité de
la population (votante et non-votante). Or aux élections de 2018, seulement 25%
des citoyens ont donné leur voix à la CAQ (en tenant compte de ceux qui n'ont
pas voté, qui représentent le tiers de la population). En effet, dans un
article du Devoir du 3 octobre 2018, Annabelle Caillou affirme :
« Si
l’on compile les résultats des circonscriptions remportées par la CAQ — en
comptabilisant les Québécois inscrits sur les listes électorales n’ayant pas
exercé leur devoir de citoyen —, seulement
24,9 % de l’ensemble des électeurs ont vraiment donné leur voix au parti ».
Source : Annabelle Caillou, « L’adhésion d’un quart des
électeurs a suffi à la CAQ » (3 octobre 2018) Le Devoir, en ligne : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/538222/la-caq-a-convaincu-les-electeurs-avec-moderation
Donc la CAQ ne peut pas logiquement se prévaloir de l'argument de la légitimité démocratique (à savoir qu'il représente les aspirations de la majorité de la population) afin de recourir aux articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise. En effet, il ne reflète pas les aspirations de la majorité de la population : 75% des citoyens n'ont pas donné leur voix à la CAQ.
De plus, selon Nikolas Barry-Shaw, « l’opposition
à la loi 21 est également plus large et substantielle qu’on ne le rapporte
souvent — plus de 40% selon plusieurs sondages et même 59% dans l’un d’entre eux ».
Source : Nikolas Barry-Shaw,
« Interdiction des signes religieux : quel consensus? » (21 mai 2019)
Institut de recherche et d’informations socio-économiques, en ligne : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/interdiction-des-signes-religieux-quel-consensus
Pour terminer, même si la CAQ représente les aspirations
de la majorité de la population, il y a lieu de rappeler que « l'idée de
démocratie transcende la règle de la majorité » (Vriend c. Alberta, [1998] 1 RCS 493 au para.33, j. Iacobucci) et
qu'il n'est donc pas légitime pour une majorité de nier, sur la seule base
de la règle de la majorité (ou du principe démocratique), des droits
fondamentaux en ayant recours aux dispositions de dérogation. En effet, l’objet
de la Charte canadienne, dans lequel
s’inscrit l’article 33, est que « la société canadienne doit être libre et démocratique » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64) et pas uniquement démocratique. D’ailleurs, l’ancien juge de la Cour
suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache, est d’avis que la Charte
canadienne est « l’expression
ultime et profondément canadienne de la primauté accordée à la liberté et à
la dignité humaine ».
Source : Michel Bastarache, « La
Charte canadienne des droits et libertés, reflet d’un phénomène mondial
? » (2007) 48 :4 Les Cahiers de Droit 735 à la p.736, en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2007-v48-n4-cd3850/043952ar.pdf
En d’autres termes, pour qu’un système politique ait une légitimité,
il doit y avoir une interaction entre « la primauté du droit » et le
« principe démocratique ». Sur la question de légitimité d’un système
politique, la Cour suprême du Canada affirme :
« Un système politique doit aussi avoir
une légitimité, ce qui exige, dans notre culture politique, une interaction de
la primauté du droit et du principe démocratique. Le système doit pouvoir refléter les
aspirations de la population. Il y a
plus encore. La légitimité de nos lois
repose aussi sur un appel aux valeurs morales dont beaucoup sont enchâssées
dans notre structure constitutionnelle. Ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la
seule «volonté souveraine» ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion
d'autres valeurs constitutionnelles ».
Source :
Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.67.
L’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable
Beverly McLachlin, ajoute :
« La distinction entre « gouverner à coup de lois »
(« rule by law ») — situation qui
existe dans certains pays en voie de développement — et « primauté du
droit » (« rule of law ») — principe auquel adhèrent les démocraties développées
— décrit succinctement la différence entre un simple système de règles et un
système de droit digne de ce nom, fondé sur certaines valeurs minimales
(…) La théorie démocratique moderne, telle qu’épousée par la plupart des
démocraties occidentales, conjugue deux doctrines intrinsèquement
contradictoires. Suivant la première, souvent attribuée à Dicey, il appartient au Parlement,
et à lui seul, d’établir le droit et, par incidence, les normes fondamentales
sur lesquelles il repose. La seconde consiste dans l’idée — très largement
acceptée depuis la Seconde Guerre mondiale dans les démocraties modernes
développées — que les systèmes de
droit doivent respecter certaines normes fondamentales ».
Source : Beverly McLachlin, « Les
principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans ce
domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre
2005, en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2005-12-01-fra.aspx
Ainsi, les
sociétés, comme la nôtre, « où prime le droit se caractérisent par une
certaine obligation de justification ».
Source : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale
79, [2003] 3 RCS 77 au
para.130. Beverley McLachlin, « The Roles of
Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of Law »
(1998-1999), 12 C.J.A.L.P. 171.
Le philosophe du droit,
Ronald Dworkin, donne l’exemple suivant afin de démontrer que la règle de la
majorité (le principe démocratique) ne suffit pas toujours à rendre une
décision juste (légitime) :
« Majority decision is not always fair. I earlier gave this example: when
a lifeboat is overcrowded and one passenger must be thrown over else all will
die, it would not be fair to hold a vote so that the least popular among them
would be drowned (…) The evident reasons why a majority vote would
be unfair in the lifeboat case apply also to at least some political decisions.
Just as the biases and personal dislikes of a majority should not count in
deciding which passenger should be thrown overboard, so they are not relevant
when a political community decides on the rights of an identified and disliked
minority (…) Majority
rule is not an intrinsically fair decision procedure, and there is nothing
about politics that makes it intrinsically fair there. ».
Source : Ronald Dworkin, Justice
for Hedgehogs, Cambridge, Harvard University Press, 2011 aux pp.387 et 392.
L’ancien juge de
la Cour suprême des États-Unis et procureur en chef pour les États-Unis au
procès de Nuremberg, Robert H. Jackson, expose le dilemme, pour tout
législateur, de choisir entre une règle de la majorité sans limites qui laisse
sans protection les individus d’une minorité et choisir une règle de la
majorité limitée qui protège les minorités :
« Judicial
power to nullify a law duly passed by the representative process is a
restriction upon the power of the majority to govern the country. Unrestricted
majority rule leaves the individual in the minority unprotected. This is the
dilemma and you have to take your choice. The Constitution-makers made their
choice in favor of a limited majority rule ».
Source : Robert H.
Jackson, The Supreme Court in the American
System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 à la p.79.
Au Canada, les
législateurs fédéral et provinciaux ont également fait ce choix de limiter la
règle de la majorité (leur souveraineté) afin de protéger les droits et
libertés fondamentaux et les minorités. En effet, il y a eu une « volonté commune des gouvernements fédéral et
provinciaux de limiter leur souveraineté législative de manière à ne pas violer
certains droits et certaines libertés ».
Source : Office
canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au
para.57. Voir aussi : Vriend c.
Alberta, [1998] 1 RCS 493 aux paras.25 et 27, j. Iacobucci.
Le philosophe du droit, Ronald Dworkin, affirme que la
garantie des droits fondamentaux est la promesse faite aux minorités par la
majorité que leur dignité sera respectée :
« The bulk of the law, that part
which defines and implements social, economic and foreign policy, cannot be
neutral. It must state, in its greatest part, the majority's view of the common
good. The
institution of rights is therefore crucial, because it represents the
majority's promise to the minorities that their dignity and equality will be
respected. When the divisions among the groups are most violent, then this
gesture, if law is to work, must be most sincere [...] is the one
feature that distinguishes law from ordered brutality. If the Government does
not take rights seriously, then it does nottake law seriously either ».
Source : Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press 1978 à
la p.205.
La Cour suprême du Canada affirme aussi : « Les lois sur les
droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables
de la société ».
Source : Zurich
Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2
R.C.S. 321 au para.18.
En conséquence, bien que dans l’état actuel du droit, l’article
33 de la Charte canadienne « établit des exigences de forme seulement » (Ford c. Québec (Procureur général)
(1988) au para.33), les tribunaux devraient, selon moi afin de se conformer à
l’article 4(1) du Pacte international,
revoir les exigences (actuellement limitées « à des exigences de forme seulement ») que doit satisfaire un
législateur qui souhaite recourir à l’article 33 de la Charte canadienne. En effet, le législateur devrait, à mon avis,
avoir à fournir aux citoyens et aux tribunaux une « justification »
pour déroger à un droit ou à une liberté fondamentale ainsi qu’un lien
rationnel entre cette dérogation et l’objectif poursuivi par la loi. La
« justification » ou l’objectif urgent, important et réel à cette
dérogation pourrait reposer sur des valeurs constitutionnelles incluant par
exemple les autres droits et libertés, les valeurs d’une société libre et démocratique
« qui sont à l'origine des droits et
libertés » (voir R. c. Oakes (1986) au
para.64) et les principes constitutionnels non écrits, dont le respect des
minorités et le droit international. Évidemment, « les considérations
budgétaires à elles seules ne peuvent pas être invoquées en tant qu’objectif urgent et réel » ([2003] 2 RCS 504 au para.109 ; [2004]
3 R.C.S. 381 aux paras.71-72). Le
législateur ne pourrait pas non plus « se fonder sur un objet inconstitutionnel » ([1985] 1 RCS 295 aux
paras.80, 85, 141 ; [1987] 1
R.C.S. 1045 au para.51). En revanche, les tribunaux devraient, dans leur
analyse, accorder une grande déférence au législateur afin de respecter le
principe de souveraineté parlementaire. Contrairement à l’article 1 de la Charte canadienne, le gouvernement n’aurait cependant pas, selon ce
que je propose, à démontrer une atteinte minimale et une proportionnalité entre
les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi. Il y aurait donc une différence
claire en terme d’exigence entre le recours à l’article 33 (disposition de
dérogation à un droit) et le recours à l’article 1 (disposition de limitation
d’un droit) de la Charte canadienne.
Dans un texte
collectif publié le 5 juin 2004 dans le Globe
and Mail, les signataires, parmi lesquels on retrouve l’honorable Claire
L'Heureux-Dubé (ancienne juge de la Cour suprême du Canada),
affirmaient :
« 2. Would a Conservative government
uphold the Charter's fundamental guarantees or override them?
Indeed, many Conservative policies view the Charter of
Rights not as a fundamental guarantee for all Canadians, but rather as an
obstacle to be circumvented in the drive to remake Canada's social fabric. You have
regularly indicated a willingness to use the Charter's notwithstanding clause
to override Charter rights and to put the state back into the bedrooms of the
nation. Canadians respect and cherish the rights and values that the Charter
guarantees. Extensive
use of the override places rights squarely back where they were before the
Charter was enacted: in the hands of a potentially hostile majority ».
Source :
« Can we trust you, sir, to defend the Charter ? » (June 5,
2004) Globe and Mail, en ligne :
https://www.theglobeandmail.com/opinion/can-we-trust-you-sir-to-defend-the-charter/article744080/
Pour terminer
cette partie sur le droit interne, il est important de sensibiliser la
population sur l’importance de protéger les minorités, car les tribunaux ne
peuvent à eux seuls, sans un large appui de l’opinion publique, garantir la protection
des minorités. En effet, l’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis et
procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg, Robert H.
Jackson, affirmait :
« I know of no
modern instance in which any judiciary has saved a whole people from the great
currents of intolerance, passion, usurpation, and tyranny which have threatened
liberty and free institutions. The
Dre Scott decision did not settle the question of the power to end slavery (…) No court can support a reactionary
regime and no court can innovate or implement a new one. I doubt that any
court, whatever its power, could have saved Louis XVI or Marie Antoinette. None
could have avoided the French Revolution, none could have stopped its excesses,
and none could have prevented its culmination in the dictatorship of Napoleon. In Germany a courageous court refused to convict those whom the
Nazi government sought to make the scapegoats for the Reichstag fire,
clandestinely set by the Nazis themselves, and other courts decreed both the
Nazi and the Communist parties to be illegal under German law. Those judgments
fell on deaf ears and became dead letters because the political forces at the
time were against them.
It is
not idle speculation to inquire which comes first, either in time or
importance, an independent and enlightened judiciary or a free and tolerant
society.
Must we first maintain a system of free political government to assure a free
judiciary, or can we rely on an aggressive, activist judiciary to guarantee
free government ? While each undoubtedly is a support for the other, and
the two are frequently found together, it is my belief that the attitude of a society and of its
organized political forces, rather than its legal machinery, is the controlling
force in the character of free institutions ».
« Judicial
functions, as we have evolved them, can be discharged only in that kind of
society which is willing to submit its conflicts to adjudication and to
subordinate power to reason ».
Source : Robert H.
Jackson, The Supreme Court in the American
System of Government, Harper Torchbooks, New York, 1963 aux pp.80-83.
Droit
international
Le 19 mai 1976, le
Canada a adhéré au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (ci-après Pacte
international) ainsi qu’à son protocole facultatif. Ce Pacte dégage
non seulement un consensus international, mais aussi des principes que le
Canada s’est lui-même engagé à respecter.
Source : Health Services
and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique,
[2007] 2 RCS 391 au para.71. Sur l’adhésion du Canada au Pacte international,
voir : https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr
Ce Pacte
international lie autant le Canada que les provinces, dont le Québec. En
effet, l’article 50 de ce Pacte mentionne :
« Les
dispositions du présent Pacte s'appliquent, sans limitation ni exception
aucune, à toutes les unités constitutives des Etats fédératifs ».
De plus, l’article
29 de la Convention de Vienne sur le
droit des traités, à laquelle le Canada a adhéré le 14 octobre 1970,
mentionne :
« À
moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs
établie, un traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son
territoire ».
Le 21 avril
1976, dans l’arrêté en conseil 1438-76, le Québec a ratifié ce Pacte
international.
Source : Commission des droits de la personne et
Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, 1991 CanLII 1358 (QC TDP).
L’adoption de la Charte canadienne découle de
l’obligation imposée aux États en vertu de l’article 2 de ce Pacte international.
Les
droits que ce Pacte international protège « énoncent un niveau minimal de protection dont il faut tenir compte
dans l’interprétation » des Chartes. En d’autres termes, « il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins
aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en
matière de droits de la personne ».
Source :
Divito c. Canada (Sécurité publique et
Protection civile), [2013] 3 RCS 157 aux paras.23-25. Voir aussi : Renvoi relatif à la Public Service Employee
Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 au para.59 ; Slaight Communications Inc. c. Davidson,
[1989] 1 R.C.S. 1038 au para.23 ; Health
Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c
Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391 au para.70 et 79 ; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 au
para.55.
L'article 4 du Pacte
international mentionne :
"Article
4
1.
Dans le cas
où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation
et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la
stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations
prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres
obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination
fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion
ou l'origine sociale.
2.
La
disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 (…) »
L’article 18 du Pacte international mentionne :
« Article 18
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou
d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en
public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques
et l'enseignement (…) ».
En conséquence, ce
n’est que dans un cas de danger public exceptionnel menaçant l'existence de la nation,
qu’un État est en droit de déroger, dans une loi, aux droits contenus dans le Pacte
international. De plus, cette dérogation ne doit pas entraîner une
discrimination fondée uniquement, par exemple, sur la religion.
Le paragraphe 2 de
l’article 4 du Pacte international mentionne aussi qu’il est interdit
pour un État de déroger aux articles 6, 7, 8 (para.1 et 2), 11, 15, 16 et 18 de
ce Pacte. Or l’article 18 du Pacte international est la disposition
garantissant le droit à la liberté de conscience et de religion, à savoir le
même droit auquel le PL 21 entend déroger.
Dans son document
intitulé « Observation générale no.29-État d’urgence (art.4) », le
Comité des droits de l’homme de l’ONU précise l’application de l’article
4 et le droit d’un État de déroger à certains articles du Pacte
international :
« Les
mesures dérogeant aux dispositions du Pacte doivent avoir un caractère
exceptionnel et provisoire. Avant qu’un État ne décide d’invoquer l’article 4,
il faut que deux conditions essentielles soient réunies: la situation doit
représenter un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation
et l’État partie doit avoir proclamé officiellement un état d’urgence. Cette
dernière condition est essentielle au maintien des principes de légalité et de
primauté du droit à des moments où ils sont plus que jamais nécessaires (…)
Tout
trouble ou toute catastrophe n’entre pas automatiquement dans la catégorie d’un
danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation, selon la
définition du paragraphe 1 de l’article 4. Pendant un conflit armé,
international ou non, les règles du droit international humanitaire deviennent
applicables et contribuent, outre les dispositions de l’article 4 et du
paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, à empêcher tout abus des pouvoirs
exceptionnels par un État. Le Pacte stipule expressément que même pendant un
conflit armé, des mesures dérogeant au Pacte ne peuvent être prises que si, et
dans la mesure où, cette situation constitue une menace pour la vie de la
nation. L’État partie qui envisage d’invoquer l’article 4 dans une situation
autre qu’un conflit armé devrait peser soigneusement sa décision pour savoir si
une telle mesure se justifie et est nécessaire et légitime dans les
circonstances. Le Comité a exprimé à
plusieurs occasions sa préoccupation au sujet d’États parties qui semblaient
avoir dérogé aux droits protégés par le Pacte, ou dont le droit interne
semblait autoriser une telle dérogation dans des situations non couvertes par
l’article 4 (…)
La question
de savoir quand et dans quelle mesure il peut être dérogé à certains droits ne
peut être examinée sans qu’il soit tenu compte de la disposition du paragraphe
1 de l’article 4 du Pacte selon laquelle toute dérogation aux obligations qui
incombent à l’État partie en vertu du Pacte n’est permise que « dans la stricte
mesure où la situation l’exige ». Cette condition fait obligation aux États
parties de justifier précisément non seulement leur décision de proclamer un
état d’exception, mais aussi toute mesure concrète découlant de cette
proclamation (…)
Le paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte stipule expressément
qu’il ne peut être dérogé aux articles suivants:
article 6 (droit à la vie), article 7 (interdiction de la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et des expériences
médicales ou scientifiques menées sans le libre consentement de la personne
concernée), article 8, paragraphes 1 et 2 (interdiction de l’esclavage, de la
traite des esclaves et de la servitude), article 11 (interdiction d’emprisonner
une personne incapable d’exécuter une obligation contractuelle), article 15
(principe de légalité en matière pénale, en vertu duquel la responsabilité
pénale et les peines doivent être définies dans des dispositions claires et
précises d’une loi qui était en vigueur et applicable au moment où l’action ou
l’omission a eu lieu, sauf dans les cas où une loi ultérieure prévoit une peine
moins lourde), article 16 (reconnaissance de la personnalité juridique de
chacun) et article 18 (liberté de
pensée, de conscience et de religion). Les droits consacrés dans ces
dispositions ne sont pas susceptibles de dérogation du simple fait qu’ils sont
énumérés au paragraphe 2 de l’article 4 (…) À
plusieurs occasions, le Comité s’est déclaré préoccupé par le fait qu’il était
dérogé ou qu’il risquait pouvoir être dérogé à des droits non susceptibles de
dérogation conformément au paragraphe 2 de l’article 4, du fait de
l’insuffisance du régime juridique de l’État partie ».
Source : ONU, Comité des
droits de l’homme, observation générale no.29- État d’urgence (art.4), 31 août
2001, CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, en ligne : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/TBSearch.aspx?Lang=fr&TreatyID=8&DocTypeID=11
NB : Dans le cas de la Charte de la langue française, le
gouvernement du Québec avait, dans sa loi (Loi
modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1988, c. 54, art.10), notamment
dérogé au droit à la liberté d’expression. Or le paragraphe 2 de l’article 4 du
Pacte international n’interdit pas une dérogation au droit à la liberté
d’expression garanti, par ailleurs, à l’article 19 du Pacte. Il interdit une
dérogation à la liberté de conscience et de religion garantie à l’article 18 du
Pacte. En d’autres termes, le cas de la Charte
de la langue française (qui dérogeait à la liberté d’expression) se
distingue du cas du PL21 (qui entend déroger à la liberté de conscience).
Contrairement au Pacte
international, les articles 33 de la Charte
canadienne et 52 de la Charte
québécoise semblent a priori permettre
au législateur québécois de déroger dans une loi au droit à la liberté de
conscience et de religion.
Or l’article 27 de
la Convention de Vienne sur le droit des
traités mentionne :
« Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit
interne comme justifiant la non-exécution d’un traité (…) ».
À ce sujet, voir : Zingre
c. La Reine et autres, [1981] 2 RCS 392. Dans cet arrêt, le juge Dickson cite,
au nom de tous les juges, le ministère canadien des Affaires extérieures qui
affirmait : « il est un principe consacré dans le droit coutumier
international qu’un état ne peut invoquer les dispositions de son droit interne
pour justifier son omission de s’acquitter de ses obligations
internationales ». Voir aussi : R.
c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 RCS 571 au para.271.
Le 4 février 1932,
la Cour Permanente de Justice Internationale affirmait dans un avis
consultatif : « Un État ne saurait invoquer, (…) sa propre
constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit
international ou les traités en vigueur ».
En somme, si le législateur
québécois adopte le PL 21 avec les clauses dérogatoires permettant de déroger
au droit à la liberté de conscience et de religion, des citoyens du Québec
s’estimant brimés pourraient porter plainte contre le Québec pour violation des
articles 4(2) et 18 du Pacte international au Comité des droits de
l’homme des Nations Unies.
En effet, en vertu
de l’article 1 du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
signé par le Canada le 19 mai 1976 après avoir notamment obtenu l’aval du
Québec le 21 avril 1976, le Comité des droits de l'homme « a compétence
pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant
de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation, par cet Etat
partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte ». En d’autres
termes, les États parties acceptent la compétence du Comité des droits de
l’homme pour examiner la plainte d’un individu selon laquelle un État partie a
violé ses droits au titre du Pacte. La plainte doit traiter d’une violation,
par l’État partie, de tout droit couvert par le Pacte. Conformément à l’article
2, un particulier qui présente une plainte au Comité doit d’abord avoir épuisé
tous les recours internes et doit relever de la compétence de l’État partie.
Alors que la
plainte fait l’objet d’un examen, le Comité des droits de l’homme peut émettre
un avis non contraignant à l’intention de l’État partie, qu’on appelle une «
demande de mesures provisoires
». Cette demande vise à éviter un préjudice irréparable. Une fois qu’il aura
considéré la plainte de l’individu et la réponse écrite de l’État, le Comité
présentera ses vues définitives. Les vues définitives et les recommandations du
Comité ne sont pas exécutoires ; en d’autres termes, l’État partie n’est pas
légalement obligé de les mettre en œuvre.
Source : Gouvernement du Canada, Rapports sur les
traités des Nations Unies relatifs aux droits de la personne, en ligne : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/systeme-canada-nations-unies/rapports-traites-nations-unies.html#a1
Conclusion
J’exhorte le
gouvernement du Québec à renoncer à l’usage dans le PL21 des dispositions de
dérogation, prévues aux articles 33 de la Charte
canadienne et 52 de la Charte
québécoise, afin de se conformer au droit international. En effet, « en
sa qualité de membre de la communauté internationale », le Québec « n’est pas censé légiférer de manière à violer un traité ou de
quelque manière incompatible avec la courtoisie internationale ou les règles
établies du droit international ».
Le droit international autorise un État à déroger, dans une loi, aux droits
contenus dans le Pacte international que dans un cas de danger public
exceptionnel menaçant l'existence de la nation. Le Pacte international interdit également, en toute circonstance, à un
État de déroger au droit à la liberté de conscience. Contrevenir au droit international enverrait un très mauvais message
aux citoyens québécois qui auront à essuyer et à pâtir des conséquences de ce
projet de loi s’il est adopté. Si ce projet de loi est adopté, le
gouvernement est en droit de s’attendre, au nom de la primauté du droit, que
les citoyens respectent les obligations imposées par cette nouvelle loi. Mais la primauté du droit n’est pas que l’affaire
des citoyens. La Cour suprême du Canada affirme : « le droit est au‑dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen ». La primauté du droit exige également « que les actes de
gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution ».
Le Québec devrait donc être soucieux, dans la mise en œuvre des deux Chartes,
de ses obligations en droit international et de ses engagements internationaux.
À ce sujet, rappelons que, selon le secrétaire général du Conseil de sécurité
des Nations Unies, un « État de droit » signifie notamment qu’un État
est également soumis aux lois qu’il a lui-même promulguées, lesquelles doivent
être compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits
de l’homme :
« Le concept d’« état de droit » ou
de « légalité » s’inscrit au coeur même de la mission de l’Organisation. Il
désigne un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus,
des institutions et des entités publiques et privées, y
compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois
promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et
administrées de manière indépendante, et compatibles
avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme. Il implique,
d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la
primauté du droit, de l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard
de la loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des
pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité
juridique, du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et des
processus législatifs ».
Source : ONU,
Conseil de sécurité, Rapport du secrétaire général, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice
pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou
sortant d’un conflit, 23 août 2004, S/2004/616,
en ligne : https://undocs.org/fr/S/2004/616
En octobre 1984, lorsque le Canada présenta son
rapport au comité des droits de l’homme des Nations Unies, l’un des membres du
comité a affirmé que la dérogation prévue à l’article 33 de la Charte canadienne ne respectait pas
l’article 4 du Pacte international.
Source : Gisèle
Côté-Harper, « Les minorités et le droit à l’égalité :
introduction » (1986) 27 :1 Les Cahiers de droit 135 à la p.141. Voir
aussi : CCPR/C/SR.559, 19 nov. 1984 ; Rapport du comité des droits de
l’homme, doc. A/40/4, 19 sept. 1985.
En réponse à cette
préoccupation du comité des droits de l’homme des Nations Unies, « les
représentants du gouvernement canadien ont assuré le Comité des droits de
l'homme de l'O.N.U. que tout recours à l'article 33 devra être compatible avec
les obligations internationales du Canada, telles qu'elles résultent notamment
du Pacte en question ».
Source :
Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La suprématie législative et
l'édiction d'une charte des droits Britannique » (1988) 29:3 Les Cahiers
de droit 638 à la p.655.
En effet, voici ce que le Comité des droits de
l’homme mentionnait dans l’un de ses rapports :
« 8.4 Enfin, le
Gouvernement canadien affirme que l’existence de l’article 33 en soi n’est pas
contraire à l’article 4 du Pacte et que l’utilisation de l’article 33 de la
Charte n’équivaut pas nécessairement à une dérogation interdite par le Pacte : "Le
Canada doit veiller à ce que l’article 33 ne soit jamais invoqué dans des
circonstances où il y aurait contravention au droit international. La Cour
suprême du Canada a d’ailleurs affirmé que ’les obligations internationales du
Canada ... devraient [régir] ... l’interprétation du contenu des droits
garantis par la Charte’." Ainsi, une dérogation législative ne pourrait
jamais être invoquée pour autoriser des actes qui sont clairement prohibés par
le droit international. Par conséquent, la
dérogation législative figurant à l’article 33 est, selon le Gouvernement,
compatible avec le Pacte ».
Source : ONU,
Comité des droits de l’homme, Constatations,
47e session, 5 avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989, en
ligne : https://www.hri.ca/wp-content/uploads/DOC-2018-06-03-03-03-03-841.pdf
De plus, comme le mentionnait la Cour suprême du Canada, « la démocratie au
vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit ».
Source : Renvoi
relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para.67.
En conséquence, le gouvernement ne peut, en adoptant le
PL 21, prétendre agir démocratiquement alors que ce projet de loi contrevient,
selon moi, à la primauté du droit en dérogeant (alors que le droit
international l’interdit) au droit à la liberté de conscience et en occultant
des principes constitutionnels non écrits tels que le respect des minorités. Comme
le mentionnait le philosophe du droit Ronald Dworkin, dont l’ouvrage a été cité
par les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez c.
Colombie-Britannique (Procureur général) (1993) :
« Because
we honor dignity, we demand democracy, and we define it so that a constitution
that permits a majority to deny freedom of conscience is democracy’s enemy, not
its author ».
Source : Ronald Dworkin, Life's
Dominion : An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom,
New York, Vintage books, 1994. Ouvrage cité par la Cour suprême du Canada dans
l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519.
Arguments juridiques contre
le recours par le législateur à l’article 33 de la Charte canadienne pour déroger dans une loi à la liberté de
conscience en contravention avec le droit international
Bien que l’argument qui suit soit
juridiquement discutable, il n’est pas certain, selon moi, que le législateur, en adoptant
l’article 33 de la Charte canadienne,
a eu « l’intention non équivoque »
de contrevenir à l’article 4(2) du Pacte
international qui interdit, en toute circonstance, au législateur de
déroger dans une loi à la liberté de conscience. Voici mon raisonnement :
La Cour suprême du
Canada affirme :
« D’une part,
l’organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en
tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté
internationale. Appelé à choisir entre diverses
interprétations possibles, le tribunal doit éviter celles qui emporteraient la
violation de ces obligations. D’autre part, l’organe législatif est
présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier
et conventionnel. Le tribunal privilégie donc l’interprétation qui
reflète ces valeurs et ces principes, lesquels font partie du contexte
d’adoption des lois. La présomption est toutefois réfutable. La souveraineté
du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime
l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation
internationale ».
Source :
R. c. Hape, 2007 CSC 26 (CanLII) au
para.53. Voir aussi Daniels v. White, [1968] SCR 517.
L’article 33(1) de
la Charte canadienne mentionne :
« Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il
est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet
indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des
articles 7 à 15 de la présente charte ». Or l’article 2a) prévoit la
liberté de conscience et de religion. Donc le libellé de l’article 33 de la Charte canadienne semble clair et semble
a priori autoriser le législateur à
déroger dans une loi à la liberté de conscience et de religion. Ce faisant, cet
article semble contrevenir à l’article 4(2) du Pacte international qui interdit, en toute circonstance, à un État
de déroger dans une loi à la liberté de conscience. Certains pourraient vouloir
conclure qu’il s’agit d’une « intention non équivoque du législateur de
manquer à une obligation internationale ».
Toutefois, la Cour
suprême du Canada nous enseigne que « des
mots en apparence clairs
et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait,
se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte.
La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle
logiquement de la méthode moderne d’interprétation ».
Sources :
Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec
Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.10 ; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2013] 3
RCS 895 au para.43.
La Cour suprême du Canada a
d’ailleurs reconnu que « le libellé du par. 33(1) de la Charte
canadienne n'est pas sans ambiguïté ».
Source :
Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712 au para.35.
La Cour suprême du Canada nous enseigne également qu’il « est
raisonnable de se référer à une convention internationale dès l'ouverture de
l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une
ambiguïté, fût‑elle latente » même si celle-ci semble « claire
en soi ». La Cour affirme :
Qu’il « est raisonnable de se référer à une
convention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la
loi nationale renferme une ambiguïté, fût‑elle latente. L'assertion de la Cour d'appel que
le recours à un traité international n'est permis que dans un cas où la
disposition de la loi nationale est ambiguë à première vue est
à écarter. Comme le dit I. Brownlie, à la
p. 51 de Principles of Public
International Law (3e éd. 1979):
S'il
est permis d'avoir recours à la convention conformément au principe correct
suivant lequel la loi est destinée à assurer l'application de cette convention,
alors il s'ensuit que celle‑ci devient une aide légitime à l'interprétation et,
plus particulièrement, qu'elle peut faire ressortir une ambiguïté latente
dans le texte de la loi, même si cette dernière est "claire en soi".
D'autre part, le principe ou la présomption voulant que Sa Majesté n'ait pas
l'intention de violer un traité international doit comporter comme corollaire
que le texte de l'instrument international représente une source principale du
sens ou de "l'interprétation". Les tribunaux ont reconnu
dernièrement la nécessité de se référer au traité pertinent même lorsque le
texte législatif, pris isolément, ne contient aucune ambiguïté ».
Source :
National Corn Growers Assn. c. Canada
(Tribunal des importations), [1990] 2 RCS 1324.
De plus, la Cour suprême du Canada énonce qu’« un principe bien établi
d’interprétation législative veut que les tribunaux s’efforcent, dans l’interprétation de la législation nationale,
d’arriver à une interprétation qui concorde avec les obligations du Canada
découlant de traités ».
Source : États-Unis d'Amérique c. Anekwu, [2009] 3 RCS 3 au para.25.
De même, selon la Cour suprême du Canada « donner à une loi canadienne
une interprétation qui va à l’encontre des obligations internationales du
Canada risque d’amener les tribunaux à s’ingérer dans la conduite des affaires
étrangères de l’exécutif et la censure en droit international. L’importance contextuelle du droit
international est d’autant plus claire lorsque la disposition à interpréter a
été « adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales ».
Source : B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47.
Or comme je l’ai déjà mentionné, le pouvoir exécutif
canadien responsable de la signature du Pacte
international s’est engagé à « ce que l’article 33 ne soit jamais
invoqué dans des circonstances où il y aurait contravention au droit international »
et « ont assuré le Comité des droits de l'homme de l'O.N.U. que tout
recours à l'article 33 devra être compatible avec les obligations
internationales du Canada, telles qu'elles résultent notamment du Pacte en
question ».
Sources :
ONU, Comité des droits de l’homme, Constatations, 47e session, 5
avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989 au para.8.4, en ligne : https://www.hri.ca/wp-content/uploads/DOC-2018-06-03-03-03-03-841.pdf ; Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La
suprématie législative et l'édiction d'une charte des droits Britannique »
(1988) 29:3 Les Cahiers de droit 638 à la p.655.
On pourrait donc conclure
ainsi :
- Considérant que « l’organe
législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en tant que
signataire de traités internationaux et membre de la communauté
internationale » (R. c. Hape,
2007 CSC 26 (CanLII) au para.53) ;
- Considérant que
« la présomption est toutefois réfutable. La souveraineté du
Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention
non équivoque du législateur de manquer à une obligation
internationale » (R. c. Hape,
2007 CSC 26 (CanLII) au para.53) ;
- Considérant que
l’article 4(2) du Pacte international,
signé par le Canada et ratifié par le Québec, interdit, de façon expresse et en
toute circonstance, à un État de déroger dans une loi à la liberté de
conscience et de religion garantie à l’article 18 du Pacte ;
- Considérant que
l’article 33(1) de la Charte canadienne
mentionne que « le Parlement ou la législature d’une province peut
adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses
dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de
l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente
charte » ;
- Considérant que
le libellé de l’article 33(1) de la Charte
canadienne semble a priori
autoriser une dérogation à la liberté de conscience et de religion prévue à
l’article 2a) de la Charte canadienne et
semble donc a priori contrevenir à
l’article 4(2) du Pacte international
;
- Considérant toutefois
que l’article 4(2) du Pacte international,
n’interdit pas à un État de déroger dans une loi aux autres libertés
fondamentales à savoir la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique
et la liberté d’association prévues aux paragraphes b) c) et d) de l’article 2
de la Charte canadienne ;
- Considérant
qu’une interprétation de l’article 33(1) de la Charte canadienne qui serait conforme à l’article 4(2) du Pacte international exigerait seulement
que le législateur ne puisse, dans une loi, déroger à la liberté de conscience et
de religion (art.2 a) de la Charte) sans toutefois interdire à ce législateur
de déroger aux autres libertés fondamentales (art.2 b), c), d) de la Charte) ;
- Considérant que la Cour suprême du Canada a clairement mentionné « la prééminence de la conscience individuelle et
l'inopportunité de toute intervention gouvernementale visant à forcer ou à empêcher sa manifestation » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.121) ;
- Considérant la méthode moderne
d’interprétation selon laquelle « il n’y a qu’un seul
principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur
contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise
avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du
législateur » (Canada (Chambre des
communes) c. Vaid, [2005] 1 RCS 667 au para.80 ; R. c. Comeau, [2018] 1 RCS 342 au para.52) ;
- Considérant que
selon cette méthode moderne « l’interprétation législative ne peut pas
être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 au
para.21 ; Montréal (Ville) c.
2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.9) ;
- Considérant que
les mots en apparence clairs de l’article 33 de la Charte canadienne peuvent, une fois mis en contexte, révéler une ambiguïté latente (Montréal
(Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 RCS 141 au para.10) ;
- Considérant que la
Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu que « le libellé du par. 33(1) de la Charte
canadienne n'est pas sans ambiguïté » (Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712 au para.35) ;
- Considérant qu’il
« est raisonnable de se référer à une convention internationale dès
l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une
ambiguïté, fût‑elle latente » (National
Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 RCS
1324) ;
- Considérant que les documents
constitutionnels comme la Charte
canadienne doivent être « situés dans leurs contextes linguistique,
philosophique et historique appropriés » (Renvoi relatif à la réforme du
Sénat, [2014] 1 RCS 704 au
para.25 ; R. c. Comeau,
[2018] 1 RCS 342 au para.52) ;
- Considérant que « l’essor
des droits de la personne sur le plan international est un facteur important
qui a contribué à l’adoption, au Canada, d’un document garantissant des droits
et libertés » (Office canadien de
commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 RCS 157 au
para.57) ;
- Considérant que le
droit international est donc un facteur important qui a contribué à l’adoption
de la Charte canadienne et qu’on doit
tenir compte dans la recherche de l’intention du législateur ;
- Considérant que
le droit international, par le biais de l’article 4(2) du Pacte international, interdit depuis le 19 mai 1976 au Canada de
déroger dans une loi à la liberté de conscience ;
- Considérant que
cette interdiction en droit international existait déjà au moment de l’adoption
de la Charte canadienne en 1982
;
- Considérant que les
débats parlementaires ne semblent pas indiquer une « intention non équivoque » du législateur de contrevenir au
droit international ;
- Considérant qu’ « il faut présumer que la Charte accorde une
protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés
par le Canada en matière de droits de la personne » (Divito c. Canada (Sécurité
publique et Protection civile), [2013] 3 RCS 157
aux paras.23-25 ; Health Services
and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c
Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391 au para.70 et 79 ; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 au para.55.
- Considérant que
le fait de « donner à une loi canadienne une interprétation qui va à
l’encontre des obligations internationales du Canada risque d’amener les
tribunaux à s’ingérer dans la conduite des affaires étrangères de l’exécutif et
la censure en droit international » (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47) ;
- Considérant que « l’importance
contextuelle du droit international est d’autant plus claire lorsque la
disposition à interpréter a été « adoptée en vue d’assurer l’exécution
d’obligations internationales » (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704 au para.47) ;
- Considérant que la Charte canadienne a été
adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales à savoir la
conformité du Canada avec son obligation prévue à l’article 2 du Pacte international ;
- Considérant que
« les tribunaux doivent s’efforcer, dans l’interprétation de la Charte
canadienne, d’arriver à une interprétation qui concorde avec les obligations
du Canada découlant de traités » (États-Unis
d'Amérique c. Anekwu, [2009] 3 RCS 3 au para.25) dont l’article 4(2) du Pacte international ;
- Considérant que
le pouvoir exécutif canadien responsable de la signature du Pacte international s’est engagé à
« ce que l’article 33 ne soit jamais invoqué dans des circonstances où il
y aurait contravention au droit international » et « ont assuré le
Comité des droits de l'homme de l'O.N.U. que tout recours à l'article 33 devra
être compatible avec les obligations internationales du Canada, telles qu'elles
résultent notamment du Pacte en question » ((Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La
suprématie législative et l'édiction d'une charte des droits Britannique »
(1988) 29:3 Les Cahiers de droit 638 à la p.655 et ONU, Comité des droits de l’homme, Constatations, 47e session, 5
avril 1993, CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989 au para.8.4) ;
- Considérant que
l’intention du pouvoir exécutif canadien n’a donc jamais été que l’article 33
de la Charte canadienne puisse être
utilisé d’une manière qui contrevient au droit international et donc à
l’article 4(2) du Pacte international ;
- Considérant que pour toutes ces
raisons, il est alors invraisemblable
que le législateur ait eu « l’intention non équivoque » de
contrevenir au droit international et notamment à l’article 4(2) du Pacte international ;
- Considérant que
l’article 27 de la Convention
de Vienne sur le droit des traités, à laquelle le Canada a adhéré le 14
octobre 1970, mentionne qu’« une partie ne peut
invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la
non-exécution d’un traité (…) » (Zingre c. La Reine et
autres, [1981] 2 RCS 392) ;
- Considérant que « les
principes constitutionnels non écrits » « guident l'interprétation du
texte », « inspirent et
nourrissent le texte de la Constitution », « en sont les prémisses
inexprimées » et sont « investis d'une force normative puissante et
lient à la fois les tribunaux et les gouvernements » (Renvoi relatif à
la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras.49, 52-54 ; Renvoi
relatif à la réforme du Sénat,
[2014] 1 RCS 704 aux paras.25-26 ; R. c. Comeau, [2018] 1 RCS 342 au para.52) ;
- Considérant que « le
respect de ces principes est indispensable au processus permanent d'évolution
et de développement de notre Constitution, cet «arbre vivant» » (Renvoi
relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras.52-53) ;
- Considérant que « les
normes établies ou implicites dans les instruments juridiques internationaux
auxquels l’État a adhéré » sont, selon l’ancienne juge en chef de la Cour
suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin, des « sources de principes
constitutionnels non écrits » (Voir : Beverly McLachlin, « Les
principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans ce
domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre 2005) ;
- Considérant que
de déroger, dans une loi, à la liberté de conscience contreviendrait à une
norme juridique internationale établie dans le Pacte international, auquel le Canada et le Québec ont adhéré, et contreviendrait donc
potentiellement à un principe
constitutionnel non écrit ;
- Considérant que « la démocratie »
est l’un des « principes constitutionnels non écrits » (Renvoi
relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux paras. 49 et 61) ;
- Considérant que la Cour suprême du Canada est d’avis
que la liberté de conscience est « au cœur de notre tradition politique
démocratique » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.122) ;
- Considérant que
de déroger, dans une loi, à la liberté de conscience contreviendrait à la
« tradition politique
démocratique » et donc au principe constitutionnel non écrit de
démocratie ;
- Considérant que « le respect des droits
des minorités » est l’un des « principes constitutionnels non
écrits » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217
au para. 49) ;
- Considérant que « le respect des droits
des minorités » « a été un des facteurs clés qui ont motivé l'adoption de
la Charte » et « a clairement été un facteur essentiel dans
l'élaboration de notre structure constitutionnelle même à l'époque de la
Confédération » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2
RCS 217 au para. 81) ;
- Considérant que « la Charte protège les minorités religieuses
contre la menace de "tyrannie de la majorité" » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295 au para.96) ;
- Considérant qu’une dérogation dans le PL 21 à la liberté de conscience et de religion risque
d’affecter en particulier les minorités religieuses que la Charte entendait pourtant
protéger ;
- Considérant les propos du philosophe du droit Ronald Dworkin, dont l’ouvrage a été cité par les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) (1993), selon lesquels « une Constitution qui permet à une majorité de nier la liberté de conscience est l’ennemi de la démocratie, pas son auteur » (traduction libre) (Ronald Dworkin, Life's Dominion : An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom, New York, Vintage books, 1994) ;
- Considérant que,
selon l’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable
Beverly McLachlin, « la tâche des juges
consiste à rendre la justice. Les juges qui appliquent des lois injustes, des
lois contraires à nos convictions fondamentales sur ce qu’est une société
juste, perdent leur légitimité. Des juges qui se laissent récupérer par des
régimes corrompus ne sont plus dignes d’exercer leurs fonctions. Telle est la
leçon des procès de Nuremberg. Et
c’est aussi une leçon qui devrait enhardir les juges qui constatent des
manifestations d’injustice plus banales »
(Voir : Beverly McLachlin,
« Les principes constitutionnels non écrits : qu’est-ce qui se passe dans
ce domaine? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 1er décembre 2005) ;
- Considérant
qu’il est possible d’interpréter l’article 33(1) de la Charte canadienne d’une manière conforme au droit international
comme autorisant un législateur à déroger dans une loi à n’importe quelle
liberté fondamentale prévue au paragraphe b), c) ou d) de l’article 2 de la Charte canadienne à l’exception de la
liberté de conscience prévue au paragraphe a) de l’article 2 sans faire violence
au texte constitutionnel et à l’objet de la Charte
à savoir « "la protection constante des droits et libertés
individuels" » (Hunter et autres c.
Southam (1984) et R. c. Big M Drug Mart Ltd (1985) au para.121 ; R.
c. Tran, [1994] 2 RCS 951) ;
Conclusion : Un législateur (fédéral ou
provincial) ne peut, dans une loi, déroger à la liberté de conscience prévue à
l’article 2a) de la Charte canadienne
en ayant recours à l’article 33 de la Charte
canadienne, car cet article ne peut être interprété comme autorisant une
contravention aux obligations du Canada et du Québec en droit international et
notamment à l’article 4(2) du Pacte
international.
Patrice Garant, professeur émérite de droit public,
affirme également : « Je suis convaincu qu’une Cour ignorerait une clause dérogatoire qui
serait contraire au Droit international ».
Source : Patrice Garant, Mémoire déposé dans
le cadre des consultations particulières sur le PL21 (010M).
Pour le futur
Il y aurait peut-être
lieu de requérir du gouvernement québécois un amendement à l’article 52 de la Charte québécoise afin qu’il soit
dorénavant interdit pour le gouvernement québécois de déroger, dans une loi, à
la liberté de conscience et aux autres droits dont la
dérogation est interdite en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
NB : Cet amendement à la Charte québécoise interdirait notamment
toute dérogation au droit à la liberté de conscience, mais n’empêcherait pas
pour autant le gouvernement québécois de justifier au nom d’un objectif urgent et réel une
limite à ce droit en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
L’usage des dispositions de dérogation
- À mon avis, les dispositions de dérogation ne devraient
être utilisées qu’exceptionnellement, conformément à l’article 4(1) du Pacte international, car elles sont
antinomiques à l’objet des Chartes à savoir « "la protection constante des droits et libertés
individuels" » (Hunter et autres c.
Southam (1984) ; voir aussi l’article 1 de la Charte canadienne qui mentionne que la Charte « garantit les droits
et libertés qui y sont énoncés »).
- Le législateur ne devrait jamais y recourir afin de
déroger à un droit ou à une liberté (en particulier à la liberté de conscience)
dont la dérogation est interdite en droit international en vertu du
paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
- Comme le suggérait l’honorable Peter Lougheed, avocat et
ancien premier ministre de l’Alberta, les dispositions de dérogation ne
devraient pas être utilisées de manière préventive (mais seulement de façon
réactive) afin d’éviter de rompre « le dialogue entre les différents
organes du gouvernement ». De plus, le vote nécessaire pour recourir aux dispositions
de dérogation devrait être d’au minimum 60 % des votes des membres de
l’Assemblée nationale (et non une majorité simple).
Source : Peter Lougheed, « Why a notwithstanding
clause ? » à la p.17, en ligne : https://ualawccsprod.srv.ualberta.ca/images/points-of-view/Lougheed.pdf
-
L’objet
de la Charte canadienne, dans lequel
s’inscrit l’article 33, est que
« la société canadienne doit être libre et démocratique » (voir R. c. Oakes (1986) au para.64)
et pas uniquement démocratique. D’ailleurs, l’ancien juge de la Cour suprême du
Canada, l’honorable Michel Bastarache, est d’avis que la Charte canadienne est « l’expression ultime et
profondément canadienne de la primauté accordée à la liberté et à la dignité
humaine ». Pour cette raison, les tribunaux devraient, selon moi afin de
se conformer à l’article 4(1) du Pacte
international, revoir les exigences (actuellement limitées « à des exigences de forme seulement ») que
doit satisfaire un législateur qui souhaite recourir à l’article 33 de la Charte canadienne. En effet, le
législateur devrait, à mon avis, avoir à fournir aux citoyens et aux tribunaux
une « justification » pour déroger à un droit ou à une liberté
fondamentale ainsi qu’un lien rationnel entre cette dérogation et l’objectif
poursuivi par la loi. La « justification » ou l’objectif urgent,
important et réel à cette dérogation pourrait reposer sur des valeurs
constitutionnelles incluant par exemple les autres droits et libertés, les
valeurs d’une société libre et démocratique « qui
sont à l'origine des droits et libertés » (voir R. c. Oakes (1986)
au para.64) et les principes constitutionnels non écrits, dont le respect des
minorités et le droit international. Évidemment, « les considérations
budgétaires à elles seules ne peuvent pas être invoquées en tant qu’objectif urgent et réel » ([2003] 2 RCS 504 au para.109 ; [2004]
3 R.C.S. 381 aux paras.71-72). Le
législateur ne pourrait pas non plus « se fonder sur un objet inconstitutionnel » ([1985] 1 RCS 295 aux
paras.80, 85, 141 ; [1987] 1
R.C.S. 1045 au para.51). En revanche, les tribunaux devraient, dans leur
analyse, accorder une grande déférence au législateur afin de respecter le
principe de souveraineté parlementaire. Contrairement à l’article 1 de la Charte canadienne, le gouvernement n’aurait cependant pas, selon ce
que je propose, à démontrer une atteinte minimale et une proportionnalité entre
les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi. Il y aurait donc une différence
claire en terme d’exigence entre le recours à l’article 33 (disposition de
dérogation à un droit) et le recours à l’article 1 (disposition de limitation
d’un droit) de la Charte canadienne.
À mon
avis, les dispositions de dérogations pourraient, par exemple, être utilisées
afin de (liste non limitative) :
1.
Suspendre temporairement
l’application d’un jugement de la Cour
suprême du Canada déclarant inopérante une loi visant à protéger des personnes
défavorisées et/ou vulnérables.
Source :
Sur la possibilité d’utiliser la clause nonobstant pour suspendre
temporairement l’application d’un jugement de la Cour suprême, voir : Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20 au
para.141.
Par
exemple, lors de l’ère Lochner aux États-Unis (1897-1937), les tribunaux ont
invalidé d'importantes dispositions législatives du programme de réglementation
connu sous le nom de « New Deal ». Presque tous les commentateurs
s'entendent pour dire aujourd'hui que cette période constitue une époque sombre
dans l'histoire de la Constitution américaine. À ce sujet, la Cour
suprême du Canada affirme :
« Notre
Cour a fait remarquer à diverses occasions que la Charte
n'est pas un instrument dont peuvent se servir les personnes favorisées pour
écarter les protections législatives adoptées afin de protéger ceux qui sont
vulnérables. Ce principe a
été énoncé pour la première fois par le juge en chef Dickson, au nom de la
majorité, dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713. Il a écrit, à la
p. 779:
Je
crois que, lorsqu'ils interprètent et appliquent la Charte, les
tribunaux doivent veiller à ce qu'elle ne devienne pas simplement l'instrument
dont se serviront les plus favorisés pour écarter des lois dont l'objet est
d'améliorer le sort des moins favorisés.
Ce même principe a été repris et souligné dans les
arrêts Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 993, et Slaight
Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1051. Ce
principe reconnaît qu'une grande partie de la réglementation adoptée par le
gouvernement vise à protéger les personnes vulnérables. En fait, il serait malheureux que la Charte
puisse être utilisée pour contester des mesures destinées à protéger les membres
les moins favorisés de la société qui sont comparativement dénués de
pouvoirs. Il est intéressant de signaler qu'aux États‑Unis, les tribunaux
ont invalidé d'importantes dispositions législatives du programme de
réglementation connu sous le nom de "New Deal". Presque tous
les commentateurs s'entendent pour dire aujourd'hui que cette période appelée
"l'ère Lochner" constitue une époque sombre dans l'histoire de la
Constitution américaine ».
Source : R. c. Wholesale Travel Group Inc.,
[1991] 3 RCS 154.
Au Canada, on pourrait donner comme exemples de
décisions de la Cour suprême du Canada qui auraient pu possiblement
justifier le recours aux dispositions de dérogationl’arrêt
Ford c. Québec (Procureur général),
[1988] 2 RCS 712 sur la Charte de la
langue française ;
-
l’arrêt
R. c. Sharpe, [2001] 1 RCS 45 sur la
pornographie juvénile ;
-
l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de
contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par
le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle
de santé risquant de nuire au système de santé publique.
2.
Suspendre temporairement l’application d’un jugement de la Cour suprême du Canada qui concerne un enjeu
social important.
Le philosophe du droit, Ronald Dworkin, donne des
exemples où les tribunaux américains ont, selon lui, commis des erreurs graves
sur des enjeux sociaux importants :
« A phalanx
of like-minded justices can indeed strike down popular laws, impair popular
policies, and critically alter our electoral institutions and processes. They
can make very serious mistakes in exercising that power. The Supreme Court did
great damage in ruling large parts of President Franklin Roosevelt’s New Deal
legislation unconstitutional in the 1930s and, in the early years of Chief
Justice Roberts’s tenure, in striking down programs to relieve racial tension
and discrimination. The Court damaged democracy itself both in the way it
resolved the 2000 presidential election and in its recent 5– 4 ruling that
corporations cannot be prevented from spending what they wish on negative
television advertising to defeat legislators who oppose their interests ».
Source : Ronald Dworkin, Justice
for Hedgehogs, Cambridge, Harvard University Press, 2011 à la p.397.
Au
Canada, on pourrait donner comme exemples de décisions de la Cour suprême du
Canada qui auraient pu possiblement justifier le recours aux
dispositions de dérogations :
-
l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 portant sur l’aide au
suicide. À ce sujet, l’ancien juge de la Cour d’appel du Québec, Me Jean-Louis Baudouin, affirmait : « On peut
s’interroger sur la légitimité non pas formelle, mais sociale d’une décision
partagée 5-4 du plus haut tribunal du pays sur, par exemple, l’aide au suicide
» (Jean-Louis Baudouin, « Common law, droit civil : réflexion sur les
outils du juge en bioéthique » (2006) 17 Journal international de bioéthique 95
à la p.99).
-
l’arrêt Gosselin c . Québec (Procureur général), [2002] 4
R.C.S. 429 où la Cour s'est penchée sur la constitutionnalité du Règlement sur
l'aide sociale de 1984 qui fixait le montant des prestations de base payables
aux personnes de moins de 30 ans au tiers de celui des prestations de base
versées aux 30 ans et plus.
-
l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur
général), [2004] 1 RCS 76 portant sur
la constitutionnalité de la décision du législateur d’établir une zone à
l’intérieur de laquelle les pères, mères et instituteurs peuvent, dans
certaines circonstances, employer une force légère pour corriger un enfant sans
s’exposer à des sanctions pénales.
-
l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791 portant sur le droit des Québécois de
contracter des assurances privées pour payer des soins médicaux administrés par
le secteur privé, ouvrant ainsi la porte à la création d’un système parallèle
de santé risquant de nuire au système de santé publique.
Aujourd’hui, plus que jamais, il est important de
défendre les droits de l’homme. À ce sujet, le secrétaire-général des Nations
Unies, António Guterres, affirmait en
2018 :
« Nous honorons donc aujourd’hui les défenseurs des
droits de l’homme qui risquent leur vie pour protéger leurs semblables, face à
la montée de la haine, du racisme, de l’intolérance et de la répression.
Les droits de l’homme sont assaillis de toutes
parts.
Les valeurs universelles se délitent. L’état de
droit est en recul.
Aujourd’hui, plus que jamais, il nous appartient
clairement et collectivement de défendre les droits de l’homme, pour chacun,
partout dans le monde ».
Source :
Message du Secrétaire
général des Nations, António Guterres (2018), en ligne : https://www.un.org/fr/events/humanrightsday/sgmessage.shtml
L’ancienne
juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverly McLachlin, est du même
avis :
« Dans les diverses régions
du monde, les droits politiques, les libertés civiles et la primauté du droit
sont attaqués depuis un certain nombre d’années. Bien que le Canada semble à
l’abri de telles attaques, nous ne sommes pas pour autant immunisés. Les facteurs qui ont contribué au
déclin de ces valeurs ailleurs dans le monde existent aussi chez nous. Le
danger réside dans le fait que, même si ici la primauté du droit et
l’indépendance de la magistrature ne sont pas l’objet de violentes attaques
comme celles observées dans d’autres pays, nous pourrions néanmoins assister à
un déclin graduel de ces valeurs au fil des ans, situation qui affaiblirait la
primauté du droit et ferait en sorte que la magistrature serait moins respectée
et moins indépendante. Il nous incombe donc de faire tout ce qui est en notre
pouvoir pour veiller à ce que cela ne se produise pas.
En 2017,
le Canada est un modèle en tant que société fondée sur la primauté du droit.
Nos juges et nos tribunaux jouissent d’une très grande considération, tant au
pays qu’à l’étranger. Je souhaite pouvoir dire la même chose dans dix ans, en
2027 ».
Source : Beverly McLachlin , « Le
déclin de la démocratie et de la primauté du droit :
Comment protéger la primauté du droit et l’indépendance de la magistrature? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 28 septembre 2017, en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2017-09-28-fra.aspx
Comment protéger la primauté du droit et l’indépendance de la magistrature? » Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, le 28 septembre 2017, en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2017-09-28-fra.aspx
Éric
Folot, avocat
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