lundi 4 janvier 2016

La dépendance affective : une conséquence "normale" à l'amour

 "The psychology of human love and drug addiction share powerful overlaps at virtually every level of the addictive process, from initial encounters to withdrawal. A preponderance of evidence from human studies and animal models now demonstrates that these overlaps extend to the level of neurobiology as well, where virtually every neurochemical system implicated in addiction also participates in social attachment processes (...) In a very real sense, we may be addicted to the ones we love" (James P. Burkett and Larry J. Young )[1].

"La réduction de l’univers à un seul être, la dilatation d’un seul être jusqu’à Dieu, voilà l’amour (...) Quel vide que l’absence de l’être qui à lui seul remplit le monde ! Oh ! comme il est vrai que l’être aimé devient Dieu. On comprendrait que Dieu en fût jaloux si le Père de tout n’avait pas évidemment fait la création pour l’âme, et l’âme pour l’amour (...) Tous, qui que nous soyons, nous avons nos êtres respirables. S’ils nous manquent, l’air nous manque, nous étouffons. Alors on meurt. Mourir par manque d’amour, c’est affreux ! L’asphyxie de l’âme (...) Quand l’amour a fondu et mêlé deux êtres dans une unité angélique et sacrée, le secret de la vie est trouvé pour eux ; ils ne sont plus que les deux termes d’une même destinée ; ils ne sont plus que les deux ailes d’un même esprit. Aimez, planez !" (Victor Hugo)[2].

"D'une manière générale l'amour désigne la conscience de l'unité que je forme avec quelqu'un d'autre, de telle sorte que je ne sois pas isolé pour moi, mais qu'il ne me soit possible d'acquérir la conscience de moi que par la suppression de mon être-pour-soi et par la connaissance de moi-même comme d'une unité que je forme avec l'autre et que l'autre forme avec moi. Mais l'amour est un sentiment, c'est-à-dire la vie éthique sous sa forme naturelle (...) Dans l'amour, le premier moment consiste en ceci que je ne veux pas être une personne autonome indépendante et que, si je l'étais, je me sentirais incomplet et imparfait" (Hegel)[3].

"Immature love says: I love you because I need you Mature love says: I need you because I love you[4]. "Mature love is union under the condition of preserving one's integrity, one's individuality (...) In love the paradox occurs that two beings become one and yet remain two" (Erick Fromm )[5].


Le culte de l'indépendance absolue

Selon Marry Ann Glendon, professeure à la faculté de droit à l'Université Harvard, l'idéalisation dans notre société du concept d'autonomie individuelle a des effets pervers importants, dont celui de rendre la dépendance méprisable aux yeux de tous[6]. Elle affirme : 
« By making a radical version of individual autonomy normative, we inevitably imply that dependency is something to be avoided in oneself and disdained in others »[7]
D’ailleurs, la dépendance a trouvé son chemin en psychiatrie. En effet, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V), la bible de la psychiatrie, érige la dépendance en trouble de la personnalité intitulé le "Dependent personality disorder" (301.6 (F60.7)). Ce trouble est marqué par une dépendance sur d'autres personnes pour répondre à ses besoins affectifs et physiques[8].

Dans le passé, plusieurs comportements furent à tort considérés comme anormaux et comme des maladies mentales alors qu'ils n'en étaient pas. Par exemple, en 1851, le psychiatre Samuel Cartwright inventa une maladie mentale qu’il appela « Drapetomia ». Selon cette maladie mentale, une personne noire souffrait de cette maladie si elle désirait s’échapper de l’esclavage. Pour prévenir cette maladie, M. Cartwright proposait aux maîtres d’infliger des coups de fouet à leurs esclaves[9]. Dans un même ordre d'idées, l’homosexualité était autrefois considérée comme un comportement anormal, déviant, immoral et était classifiée comme une maladie mentale dans la 2e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-II) de 1968[10]. Or selon l'Association américaine de psychiatrie, l'homosexualité était autrefois classifiée comme une maladie mentale, car les psychiatres et la société avaient une information biaisée sur le sujet : "Homosexuality was once thought to be a mental illness because mental health professionals and society had biased information"[11]. Selon le psychiatre Allen Frances, la normalité est plus que jamais en voie d’extinction. Il affirme :
« Normality is an endangered species (…) In this brave new world of psychiatric overdiagnosis, will anyone get through life without a mental disorder? (…) The “epidemics” in psychiatry are caused by changing diagnostic fashions—the people don’t change, the labels do. There are no objective tests in psychiatry—no X-ray, laboratory, or exam that says definitively that someone does or does not have a mental disorder. What is diagnosed as mental disorder is very sensitive to professional and social contextual forces. Rates of disorder rise easily because mental disorder has such fluid boundaries with normality (…) It is too bad that there is no advocacy group for normality that could effectively push back against all the forces aligned to expand the reach of mental disorders »[12].
En conséquence, et à moins que seule la dépendance très extrême soit visée par le "Dependent personality disorder", il n’est pas déraisonnable, selon moi, de penser que le "Dependent personality disorder" serait, comme le fut l'homosexualité, possiblement fondé, à tout le moins dans la sphère amoureuse, sur une information biaisée. En d'autres termes, il n’est pas déraisonnable de penser que, dans une relation amoureuse, l'état pathologique est, non pas la dépendance affective, mais la recherche et le maintien d'un amour « fissionnel » et d'une indépendance absolue.

Le fait que traditionnellement la société voue un culte à l'indépendance absolue dans toutes les sphères de la vie humaine (incluant la sphère amoureuse) et l'érige en norme est-il une raison suffisante pour y adhérer et pour classifier la dépendance comme un état anormal et pathologique? Personnellement, je ne le crois pas pour les trois raisons suivantes :

Premièrement, l'argument de l'autorité de la tradition n'est pas un véritable argument, car la tradition n'est pas un gage de vérité. Au contraire, il est parfois important, au nom de la vérité (qui est, selon Rawls, la première vertu des systèmes de pensée[13]), de remettre en doute les fausses certitudes et les dogmes lorsqu'ils sont faux. En science, on peut mentionner l'exemple de Copernic et de Galilée. En philosophie, on peut mentionner l'exemple de Socrate (condamné pour impiété). En théologie, on peut mentionner l'exemple de Jésus (condamné comme blasphémateur). De même, plusieurs personnes ont dans le passé été brûlées sur le bûcher (comme sorcière ou hérétique) pour seul motif d'avoir contredit ou s'être opposé au dogme du temps (voir chasse aux sorcières). Plusieurs auteurs ont, dans le passé, été mis à l'Index (Index librorum prohibitorum) par l'Église pour motif qu'ils étaient dangereux ou parce qu'ils véhiculaient des idées différentes de celles défendues par l'Église. À ce sujet, le philosophe John Stuart Mill affirme :
 « Le despotisme de la coutume est partout l'obstacle qui défie le progrès humain »[14] ; « S'il y a des gens pour contester une opinion reçue ou pour désirer le faire si la loi ou l'opinion publique le leur permet, il faut les en remercier, ouvrir nos esprits à leurs paroles et nous réjouir qu'il y en ait qui fassent pour nous ce que nous devrions prendre davantage la peine de faire, si tant est que la certitude ou la vitalité de nos convictions nous importe »[15].
De même, le fait qu'une majorité de personnes ou une société partagent une idée ou une opinion en matière de santé mentale (comme celle qui veut que la dépendance soit un trouble de la personnalité) ne prouve pas la validité de cette idée ou de cette opinion. À ce sujet, le psychologue et psychanalyste Erick Fromm  affirmait :
"What is so deceptive about the state of mind of the members of a society is the "consensual validation" of their concepts. It is naively assumed that the fact that the majority of people share certains ideas or feelings proves the validity of these ideas and feelings. Nothing is further from the truth. Consensual validation as such has no bearing whatsoever on reason or mental health. Just as there is a "folie à deux" there is a "folie à millions". The fact that millions of people share the same vices does not make these vices virtues, the fact that they share so many errors does not make the errors to be truths, and the fact that millions of people share the same forms of mental pathology does not make these people sane"[16]. 
Le philosophe Bertrand Russell affirmait également :
« The tyranny of the majority is a very real danger. It is a mistake to suppose that the majority is necessarily right. On every new question the majority is always wrong at first. In matters where the state must act as a whole, such as tariffs, for example, decision by majorities is probably the best method that can be devised. But there are a great many questions in which there is no need of a uniform decision. Religion is recognized as one of these. Education ought to be one, provided a certain minimum standard is attained. Military service clearly ought to be one. Wherever divergent action by different groups is possible without anarchy, it ought to be permitted. In such cases it will be found by those who consider past history that, whenever any new fundamental issue arises, the majority are in the wrong, because they are guided by prejudice and habit. Progress comes through the gradual effect of a minority in converting opinion and altering custom. At one time—not so very long ago—it was considered monstrous wickedness to maintain that old women ought not to be burnt as witches. If those who held this opinion had been forcibly suppressed, we should still be steeped in medieval superstition. For such reasons, it is of the utmost importance that the majority should refrain from imposing its will as regards matters in which uniformity is not absolutely necessary »[17]. 
Deuxièmement, comme l’ont reconnu Sigmund Freud et Erick Fromm, une société peut également, à l'instar d'un individu, souffrir de pathologies. Par exemple, un des mythes très populaires de nos jours est, selon Erick Fromm, que la société occidentale contemporaine et plus particulièrement le mode de vie américain (qui voue un culte à l'indépendance) répond aux exigences de la nature humaine et que l’ajustement à ce mode de vie est sain. Dans son livre "Civilization and its discontents" Sigmund Freud affirmait :
"If the evolution of civilization has such a far-reaching similarity with the development of an individual, and if the same methods are employed in both, would not the diagnosis be justified that many systems of civilization, or epochs of it, possibly even the whole of humanity, have become 'neurotic' under the pressure of the civilizing trends? (...) We may expect that one day someone will venture upon this research into the pathology of civilized communities"[18].
Le psychologue et psychanalyste Erick Fromm affirmait également :
"That human nature and society can have conflicting demands, and hence that a whole society can be sick, is an assumption which was made very explicitly by Freud, most extensively in his Civilization and Its Discontent (...) Civilization, to Freud, is the product of instinctual frustration and thus the cause of mental illness (…) One, decidedly the most popular one today, wants to make us believe that contemporary Western society and more especially, the "American way of life" corresponds to the deepest needs of human nature and that adjustment to this way of life means mental health and maturity. Social psychology, instead of being a tool for the criticism of society, thus becomes the apologist for the status quo"[19].
Troisièmement, le concept de santé mentale ne doit pas être défini en terme d'adaptation à la société, car comme le mentionne le psychologue et psychanalyste Erick Fromm, l'adaptation à une société malsaine (par exemple, qui voue un culte à l'indépendance absolue) n'est pas souhaitable. En effet, comme le disait Gandhi, « l’interdépendance est et doit être, tout autant que l’autonomie, l’idéal de l’homme (...) C’est en dépendant de la société qu’il apprend à être humain »[20]. Le psychologue et psychanalyste Erick Fromm affirmait :
"Many psychiatrists and psychologists refuse to entertain the idea that society as a whole may be lacking in sanity. They hold that the problem of mental health in a society is only that of the humber of "unadjusted" individuals, and not that of a possible unadjustment of the culture itself (...) Mental health cannot be defined in terms of the "adjustment" of the individual to his society, but, on the contrary, that it must be defined in terms of the adjustment of society to the needs of man, of its role in furthering or hindering the development of mental health. Whether or not the individual is healthy, is primarily not an individual matter, but depends on the structure of his society"[21].
Le prix nobel de la paix, Dr. Martin Luther King, affirmait également :
"I am sure that we will recognize that there are some things in our society, some things in our world, to which we should never be adjusted. There are some things concerning which we must always be maladjusted if we are to be people of good will"[22].
Le psychiatre Dr. Nassir Ghaemi ajoute :
"The deeper attitude behind King's philosophy was his view that we should be "creatively maladjusted." King was explicit in a sermon on this topic: "Everybody passionately seeks to be well-adjusted," he said. "...but there are some things in our world to which men of good will must be maladjusted....Human salvation lies in the hands of the creatively maladjusted." Psychiatrists and psychologists call "adjusted" the intention of fitting in, being accepted, "functioning" well. The average teenager is obsessed with being adjusted, but so are adults, more than we care to admit: the average corporate employee, the typical professor, intellectual, television pundit - they are all rewarded for being well-adjusted. But this kind of normal thinking, this conformism, is deadly to creativity. One never has a new idea; the past is the future; all problems become insoluble dilemmas.

King realized that to solve the problems of human life, especially the deepest problems—like racism, poverty, and war—we have to become, in a sense, abnormal. We have to stop going along; we have to stop accepting what everyone else believes. We have to become maladjusted if we are at all to become creative, and find that insoluble dilemmas often are the masks for other previously unrecognized problems with simple solutions"[23].
Selon plusieurs psychiatres et psychologues, la dépendance affective est souhaitable. La psychologue et Présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest affirme :
"L'amour s'inscrit nécessairement à l'intérieur d'une relation d'interdépendance. Il implique d'avoir besoin de l'autre et de lui permettre d'avoir besoin de soi. Or, la peur de la dépendance - de la sienne propre et de celle de l'autre - est souvent invoquée pour fuir une relation qui, en soi, n'a rien de pathologique. En conséquence, si certaines souffrances sont évitées, le bonheur est éloigné d'autant"[24].
Le psychologue Yves Dalpé affirme également :
"Je suis devenu allergique à l'idée de «dépendance affective» dans le couple. Comme si c'était anormal de trop sentir la force du lien amoureux et conjugal. On a peur d'accorder tellement d'importance au conjoint, qu'on en perdrait son autonomie, croit-on. Cette méfiance de la dépendance m'apparaît depuis longtemps comme une simple rationalisation de la peur inconsciente d'aimer. Ou de la difficulté de prendre adéquatement sa place dans une relation intime. Ou encore d'un besoin indu de distance dans le couple. Ou de la difficulté d'admettre son besoin de dépendance des autres, ce qui est le cas des narcissiques"[25].
La sexologue Jocelyne Robert affirme aussi :
"Une certaine dépendance affective est nécessaire à la construction d’un lien amoureux et érotique, dense et solide. C’est de la réunion, féconde, de deux dépendances affectives saines (ou de deux indépendances affectives saines) que naîtra l’interdépendance affective relationnelle.

La tendresse, la disponibilité (à soi et à l’autre), la complicité, la solidarité, la confiance, les liens privilégiés s’épanouissent chez les interdépendants affectifs. La pérennité de l’amour et du couple réside dans ces rapports lucides, conscients, libres"[26]. 
La psychologue Susan Johnson-Douglas, professeure émérite à la faculté de psychologie à l'Université d'Ottawa et auteure du récent ouvrage Serre-moi fort! ("Hold me tight"), affirme :
« Dans nos sociétés occidentales, nous avons développé une phobie de la dépendance affective et culpabilisé les gens - particulièrement les femmes - pour des besoins affectifs parfaitement normaux et légitimes», m'explique-t-elle au téléphone, de l'Université d'Ottawa où elle enseigne. «On a beaucoup parlé de la dépendance sous sa forme malsaine et destructrice, celle qu'on observe dans les unions où un des partenaires est alcoolique ou violent, par exemple. Mais dans une relation normale, la dépendance à l'autre est inévitable, voire souhaitable! »[27].

"My personal insights, gleaned from researching and counseling more than a thousand couples over 35 years, have now merged with a growing body of scientific studies, to the point where I can now say with confidence that we know what love is. It's intuitive and yet not necessarily obvious: It's the continual search for a basic, secure connection with someone else. Through this bond, partners in love become emotionally dependent on each other for nurturing, soothing, and protection.

We have a wired-in need for emotional contact and responsiveness from significant others. It's a survival response, the driving force of the bond of security a baby seeks with its mother. This observation is at the heart of attachment theory. A great deal of evidence indicates that the need for secure attachment never disappears; it evolves into the adult need for a secure emotional bond with a partner. Think of how a mother lovingly gazes at her baby, just as two lovers stare into each other's eyes.

Although our culture has framed dependency as a bad thing, a weakness, it is not. Being attached to someone provides our greatest sense of security and safety. It means depending on a partner to respond when you call, to know that you matter to him or her, that you are cherished, and that he will respond to your emotional needs.

The most basic tenet of attachment theory is that isolation—not just physical isolation but emotional isolation—is traumatizing for human beings. The brain actually codes it as danger

We start out intensely connected to and responsive to our partners. But our level of attentiveness tends to drop off over time. We then experience moments of disconnection, times when we don't express our needs clearly. He is upset and really wants to be comforted, but she leaves him alone, thinking that he wants solitude. These moments are actually inescapable in a relationship. If you're going to dance with someone, you're going to step on each other's feet once in a while.

Losing the connection with a loved one, however, jeopardizes our sense of security. We experience a primal feeling of panic. It sets off an alarm in the brain's amygdala, our fear center, where we are highly attuned to threats of all kinds. Once the amygdala sends out an alarm, we don't think—we act. The threat can come from the outside world or from our own inner cosmos. It's our perception that counts, not the reality. If we feel abandoned at a moment of need, we are set up to enter a state of panic.

Too often, what couples do not see is that most fights are really protests over emotional disconnection. Underneath all the distress, partners are desperate to know: Are you there for me? Do you need me? Do you rely on me?"[28].
Le psychiatre et psychanalyste américain Heinz Kohut affirme aussi :
"From the point of view of the psychoanalytic psychology of the self a value-laden demand for psychological independence is nonsense, almost as nonsensical as would be a demand that the human body should be able to get along without oxygen"[29].
Le psychothérapeute Russell Collins affirme également :
"People like Chloe who are unhappy in their relationships — or have a negative assessment about someone else’s relationship — use the term to mean that two people have become lost in each other’s emotional world. They can no longer tell where one of them starts and the other one ends. This is seen as a bad thing, an indicator of unhealthy dependence in the relationship.

But isn’t “losing yourself” sort of the definition of love? Or at least one definition? The ceding of our sense of separateness to a larger unity — the couple? What’s more, current psychological theories increasingly acknowledge that depending upon each other is at the core of our social experience as humans. We need assurance that our significant others will be there when we need them. We feel most confident venturing out in the world when we know they “have our backs.”

Pioneering psychologist John Bowlby gave this kind of emotional connection a name, “effective dependence,” and saw it as the core feature of loving relationships. The idea of codependency as a sickness, in other words, can paint a misleading and discouraging picture, preventing us from focusing on the very aspects of relationship that make a deep intimacy possible"[30].
Selon le psychiatre Glen O. Gabbard, la dépendance est désirable et seule la dépendance extrême est visée par le "Dependent personality disorder" du DSM V. Il affirme :
"Dependency, like rejection, has become something of a psychiatric cliché. Everyone is dependent to some degree, and most patients in a clinical setting will have some conflict over their feeling of dependency. Particularly in American culture, where a powerful myth centers on rugged individualism and independence, the word "dependency" is often used pejoratively. Yet self psychologists would argue that true independence is neither possible nor desirable. Most of us need various self-object functions, such as approval, empathy, validation, and admiration, to sustain us and to regulate our self-esteem. The DSM-V category of dependent personality disorder (DPD) is meant to capture a dependency so extreme as to be pathological"[31]. 
De plus, il est désormais scientifiquement démontré en neurobiologie que la dépendance affective est une conséquence naturelle à l'amour. En effet, sur le site de l'Université McGill, il est affirmé, sur la base d’études d’imagerie cérébrale, que « l'amour romantique ressemble à une dépendance » :
"À bien des égards, l’amour romantique ressemble à une dépendance. Il partage avec elle de nombreuses caractéristiques comme l’obsession, la focalisation mentale, les fluctuations émotionnelles, la distorsion de la réalité, les changements de personnalité, la prise de risque ou la perte de contrôle de soi. Traverser un pays entier sur un coup de tête pour quelques baisers de l’être aimé a certes quelque chose qui peut faire sourire. Mais ce n’est pas sans rappeler la dépendance psychologique (ou « craving », en anglais) d’une personne droguée en manque et prête à tout pour obtenir sa dose.

Également, tout comme avec une drogue, la nécessité, pour diverses raisons, de mettre un terme à la relation amoureuse peut être vécue très douloureusement et amener de nombreuses « rechutes ».

Les études d’imagerie cérébrale ont montré que ces analogies comportementales trouvent un écho au niveau de l’activation des voies nerveuses sous-jacentes. En effet, quand des sujets contemplent une photo de leur amoureux sous le scan, on peut voir s’activer les régions particulières de leur cerveau associées au système de la récompense. Ces régions sont riches en récepteurs de la dopamine, le neurotransmetteur fortement impliqué dans les phénomènes d’euphorie et de dépendance"[32].
De même, les auteurs James P. Burkett and Larry J. Young affirment que l’amour et la dépendance à une drogue partagent de nombreux points en communs non seulement en psychologie, mais également en neurobiologie :
"Human love is the most powerful of all emotions (...) Everything about the partner attracts us, drawing us further into an irreversible addiction. The psychology of human love and drug addiction share powerful overlaps at virtually every level of the addictive process, from initial encounters to withdrawal. A preponderance of evidence from human studies and animal models now demonstrates that these overlaps extend to the level of neurobiology as well, where virtually every neurochemical system implicated in addiction also participates in social attachment processes (...) In a very real sense, we may be addicted to the ones we love"[33].
L'anthropologue Helen Fischer ajoute :
« "Qu'est-ce qu'aimer?" (...) Lorsque les choses vont bien, vous ressentez une exaltation intense et un profond désespoir lorsqu'elles vont mal. Une vraie dépendance à cette personne (...)

Mais le principal trait de l'amour est le besoin : un besoin intense d'être avec cette personne, pas seulement sexuellement, mais émotionnellement. (...)

On a donc scanné leurs cerveaux en leur demandant de regarder une photo de leur bien-aimé(e) puis une photo "neutre" avec une pause entre les deux. Ainsi nous pouvions trouver...regarder le même cerveau en état de forte activité et en état de repos. Et nous avons trouvé que de nombreuses régions du cerveau sont actives. En fait, une des zones les plus actives est la même que celle qui réagit lorsque vous ressentez l'effet d'une injection de cocaïne. Et c'est exactement ce qui se passe »[34].
La consommation d’antidépresseurs ISRS nuit à l’amour

Ce qui nuit véritablement à l'amour ce n'est pas de la dépendance affective, mais la consommation grandissante d'antidépresseurs ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine). En effet, selon le psychiatre J. Anderson Thomson et  l'anthropologue Helen Fischer, la consommation d'antidépresseur ISRS est un véritable tue-amour[35].. En augmentant le niveau de sérotonine, ces antidépresseurs entraînent une diminution de dopamine associée à l'amour romantique. Ils affirment :
"Because there is a positive relationship between dopamine (associated with romantic love) and testosterone (linked to sexual desire and arousal) and because there is a negative relationship between serotonin and these catecholamines and the androgens, serotonin-enhancing antidepressants can also inhibits feelings of romantic love. "[36].
Les antidépresseurs ISRS mettent non seulement en péril les chances des personnes qui en consomment de tomber en amour ou de demeurer en amour[37], mais la littérature scientifique démontre, qu’en général, les antidépresseurs ne sont ni sécuritaires ni efficaces et qu’ils font plus de mal que de bien. En 2012, les auteurs Paul W. Andrews, J. Anderson Thomson, Ananda Amstadter and Michael C. Neale affirment :
"It is widely believed that antidepressant medications are both safe and effective; however, this belief was formed in the absence of adequate scientific verification. The weight of current evidence suggests that, in general, antidepressants are neither safe nor effective; they appear to do more harm than good (...) From a legal, ethical, and public health perspective, it now seems prudent, on the basis of existing evidence, for individual practitioners and professional medical organizations to revise informed consent guidelines and reconsider the status of antidepressants in standards of care for many diagnoses and as the immediate front line treatment for depression. (...)"[38].
Considérant que le Canada est parmi l’un des pays qui consomment le plus d’antidépresseurs[39], que 75% des patients qui en consomment sont, selon le psychiatre Joseph Glenmullen de l'Université Harvard, sur ces médicaments inutilement[40], que les antidépresseurs ISRS mettent en péril les chances des personnes qui en consomment de tomber en amour ou de demeurer en amour[41], que la littérature scientifique démontre qu’en général les antidépresseurs ne sont ni sécuritaires ni efficaces[42] et qu’ils font plus de mal que de bien[43] alors il serait grandement temps de s’interroger sur leur surutilisation.

En conclusion, je suis globalement d'accord avec la définition que je donnais de l'amour lorsque j'avais à peine vingt ans :
"L'amour, ce sentiment des plus nobles, est, et a toujours été insaisissable et irrationnel à l'entendement ou à l'esprit humain. Paradoxalement, ce sentiment est si simple en soi! L'amour est ce sentiment réciproque que deux individus ressentent l'un pour l'autre et qui se manifeste comme une admiration et une volonté de se consacrer et de se sacrifier corps et âme à cet individu que l'on chérit, jusqu'en vouloir mourir pour lui. Car lorsqu'on aime, les actions que l'on pose pour notre âme soeur ou bien aimé/e, sont gratuites et sans effort presque. Notre vie gravite autour de la sienne et tout ce qui importe est son bonheur. Je crois que ceux qui disent que lorsqu'on est en amour, on peut déplacer des montagnes et « reach for the star » ont tout à fait raison. Lorsqu'on aime vraiment, on aime davantage notre bien-aimé que soi. Être en amour exige de l'empathie et lorsqu'on se donne de tout coeur et s'imbibe des émotions émanant de notre bien-aimé, on en a arrive à un point où notre bonheur prend source dans cette relation d'échange mutuel de sentiments. C'est ce qu'on appelle la dépendance affective, et celle-ci n'est rien de moins qu'une conséquence patente à l'amour ! Ceux qui ne croient pas à cela, c'est qu'ils n'ont jamais connu l'amour; ce sont des gens égoïstes et égocentriques incapables d'empathie et qui recherchent leur bonheur avant tout parce que celui de ceux qui les entourent ne leur en procure pas; il ne leur en procure pas, car ils sont fermés et récalcitrants à s'imbiber des émotions des autres; d'où la raison pour laquelle je dis que ces gens sont apathiques ou en partie certainement".

 Éric Folot, avocat et bioéthicien






[1] James P. Burkett and Larry J. Young, "The behavioral, anatomical and pharmacological parallels between social attachment, love and addiction" (november 2012) 224:1 Psychopharmacology 1, en ligne : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3469771/
[2] Victor Hugo, Les misérables, Hetzel, 1869.
[3] Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'état en abrégé, Vrin 1993 au para.158, n.11.
[4] Erick Fromm, The Art of Loving, Open Road Media, 2013.
[5] Erick Fromm, The Erick Fromm reader : readings selected and edited by Rainer Funk, Open road media, 2014.
[6] Mary Ann Glendon, Rights talk: the impoverishment of political discourse, New York, Free Press, 1991 à la p.73.
[7] Mary Ann Glendon, Rights talk: the impoverishment of political discourse, New York, Free Press, 1991 à la p.73.
[8] « Dependent personality disorder » Psychology Today, en ligne : https://www.psychologytoday.com/conditions/dependent-personality-disorder
[9] Vanessa Jackson, "An early history : African american mental health", en ligne : http://academic.udayton.edu/health/01status/mental01.htm
[10] USA, American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), 2d ed., Washington, D.C., American Psychiatric Association, 1968 à la p.10 (#302).
[11] USA, American Psychological Association,  "Sexual orientation, homosexuality and bisexuality", 2007, en ligne : https://leachpsychology.com/uploads/material_personal_sex_orient.pdf
[12] Allen Frances, « Normality is an endangered species : psychiatric fads and overdiagnosis » (July 06, 2010) Psychiatric Times, en ligne : http://www.psychiatrictimes.com/blogs/dsm-5/normality-endangered-species-psychiatric-fads-and-overdiagnosis
[13] John Rawls, Théorie de la justice, trad. par Catherine Audard, Paris, Éditions du Seuil, 1997 à la p.29.
[14] John Stuart Mill, De la liberté, trad. par Laurence Lenglet, Paris, Éditions Gallimard, 1990 à la p.169.
[15] John Stuart Mill, De la liberté, trad. par Laurence Lenglet, Paris, Éditions Gallimard, 1990 à la p.129.
[16] Erick Fromm, The sane society, London, Routledge, 1991 aux pp.14-15.
[17] Bertrand Russell, Political Ideals, Cosimo, Inc., 2006 à la p.52
[18] Sigmund Freud, Civilization and its discontents, translated from the german by Joan Riviere, 3rd edition, London, Hogarth Press, 1946 aux pp.141-142.
[19] Erick Fromm, The sane society, London, Routledge, 1991 aux pp.71-74.
[20] Gandhi, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969 aux pp.205-206.
[21] Erick Fromm, The sane society, London, Routledge, 1991 aux pp.6 et 70.
[22] American psychological association, "King's challenge to the nation's social scientists"(January 1999) 30:1 APA Monitor, en ligne : http://www.apa.org/monitor/features/king-challenge.aspx
[23] Nassir Ghaemi, "Martin Luther King : depressed and creatively maladjusted" (Januaru 16, 2012), Psychology Today, en ligne : https://www.psychologytoday.com/blog/mood-swings/201201/martin-luther-king-depressed-and-creatively-maladjusted
[24] Rose-Marie Charest, "Amour ou dépendance?" (18 mars 2011) La Presse, en ligne : http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201103/18/01-4380667-amour-ou-dependance.php
[25] Yves Dalpé, "La "dépendance affective" dans le couple, voyons donc!" (11 novembre 2012) La Presse, en ligne : http://www.lapresse.ca/le-soleil/vivre-ici/coin-du-psy/201211/10/01-4592518-la-dependance-affective-dans-le-couple-voyons-donc.php
[26] Jocelyne Robert, "Et si on visait l'interdépendance?" (20 avril 2009) Chatelaine, en ligne : http://fr.chatelaine.com/sante/couple-et-sexualite/et-si-on-visait-linterdependance/
[27] Marie-Claude Élie Morin, "Dépendance affective : la clé du couple?" (22 décembre 2013) Magazine ELLE Québec, en ligne : http://www.ellequebec.com/societe/amour-sexe/dependance-affective-la-cle-du-couple/a/82384 - .VmxuxXvwoy4
[28] Sue Johnson, "Hold me tight : love demands the reassurance of touch. Most fights are really protests over emotional disconnection. Underneath the distress, partners are desperate to know : Are you there for me?" (January 1, 2009) Psychology Today, en ligne : https://www.psychologytoday.com/articles/200901/hold-me-tight
[29] Heinz Kohut, "Letters 1978" in Paul H. Ornstein, The search for the self : selected writings of Heinz Kohut. 4. 1978 - 1981, Volume 4, Partie 2 aux pp.572-573.
[30] Russell Collins, "When Pop Psychology hurts more than it helps", en ligne : http://www.noozhawk.com/noozhawk/print/102011_russell_collins_pop_psychology
[31] Glen O. Gabbard, Psychodynamic Psychiatry in Clinical Practice, v.5, American Psychiatric Pub, 2014 à la p.598.
[33] James P. Burkett and Larry J. Young, "The behavioral, anatomical and pharmacological parallels between social attachment, love and addiction" (november 2012) 224:1 Psychopharmacology 1, en ligne : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3469771/
[34] Helen Fisher, "Why we love, why we cheat" (February 2006), en ligne : « http://www.ted.com/talks/helen_fisher_tells_us_why_we_love_cheat/transcript?language=en#t-192180
[35] Voir aussi Helen Fisher, « Too hard for science ? Are there drugs that kill love ? » (August 2, 2011) Scientific American, en ligne : http://blogs.scientificamerican.com/assignment-impossible/httpblogsscientificamericancomassignment-impossible20110802too-hard-for-science-are-there-drugs-that-kill-love/
[36] Helen E. Fisher and J. Anderson Thomson, "Lust, Romance, Attachment : do the side-effects of serotonin-enhancing antidepressants jeopardize romantic love, marriage and fertility?", in Steven M. Platek, Julian Paul Keenan, Todd Kennedy Shackelford, Evolutionary Cognitive Neuroscience, Cambridge, MIT Press aux pp.269-270. Voir aussi Paul W. Andrews, J. Anderson Thomson, Ananda Amstadter and Michael C. Neale, "Primum non nocere : an evolutionary analysis of whether antidepressants do more harm than good" (24 april 2012) Frontiers in psychology, en ligne : http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2012.00117/full
[37] Helen Fisher, « Too hard for science ? Are there drugs that kill love ? » (August 2, 2011) Scientific American, en ligne : http://blogs.scientificamerican.com/assignment-impossible/httpblogsscientificamericancomassignment-impossible20110802too-hard-for-science-are-there-drugs-that-kill-love/
[38] Paul W. Andrews, J. Anderson Thomson, Ananda Amstadter and Michael C. Neale, "Primum non nocere : an evolutionary analysis of whether antidepressants do more harm than good" (24 april 2012) Frontiers in psychology, en ligne : http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2012.00117/full
[39] « Le Canada, un des plus grands consommateurs d’antidépresseurs » (22 novembre 2013) Radio-Canada, en ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/11/22/006-ocde-antidepresseurs-augmentation.shtml
[40] « In my experience, as many as 75% of patients are needlessly on these drugs for mild, even trivial, conditions » : Joseph Glenmullen, Prozac Backlash: Overcoming the Dangers of Prozac, Zoloft, Paxil, and Other Antidepressants with Safe, Effective Alternatives, Simon and Schuster, 2001 à la p.11.
[41] Helen Fisher, « Too hard for science ? Are there drugs that kill love ? » (August 2, 2011) Scientific American, en ligne : http://blogs.scientificamerican.com/assignment-impossible/httpblogsscientificamericancomassignment-impossible20110802too-hard-for-science-are-there-drugs-that-kill-love/
[42] Paul W. Andrews, J. Anderson Thomson, Ananda Amstadter and Michael C. Neale, "Primum non nocere : an evolutionary analysis of whether antidepressants do more harm than good" (24 april 2012) Frontiers in psychology, en ligne : http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2012.00117/full
[43] Paul W. Andrews, J. Anderson Thomson, Ananda Amstadter and Michael C. Neale, "Primum non nocere : an evolutionary analysis of whether antidepressants do more harm than good" (24 april 2012) Frontiers in psychology, en ligne : http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2012.00117/full

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